La plume : littérature

À voix mêlées / Écoutez voir : projet confiné à plusieurs mains… (1)

En cette période de repli sanitaire, la culture n’a pas dit son dernier mot ! Théâtres et cinéma fermés, salles de concert désertes, librairies et bibliothèques en mal de lecteurs… qu’à cela ne tienne ! Des initiatives interdisciplinaires et audacieuses fleurissent sur le web, comme autant de nouvelles fleurs dans le jardin du numérique.

La Pépinière : Aujourd’hui, rencontre avec deux artistes aux multiples talents – Julie Moulin et Claire Parma. Bonjour à toutes les deux ! Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Julie Moulin (J.M.) : Bonjour ! Je m’appelle Julie Moulin (parfois Mouli Julin). Je suis l’auteure de deux romans, publiés chez Alma Editeur : Jupe et pantalon (2016) et Domovoï (2019). J’ai également participé à l’écriture de L’Altitude des orties, un roman conçu par huit auteurs, enfermés à tour de rôle pendant 50 heures dans une ancienne cabine téléphonique à Fribourg… Ce texte a été publié en 2020 aux éditions Cousumouche.

Parallèlement à ces activités, j’anime depuis six ans des ateliers d’écriture pour enfants, adolescents et adultes. Je collabore avec des établissements scolaires français et suisses – notamment avec le Dispositif Relais Collège et la Mission de Lutte contre le Décrochage Scolaire (MLDS, pour les lycéens) du pays de Gex. J’anime des ateliers pour adultes à la MJC (Maison de la Jeunesse et de la Culture) de Gex, à raison de deux ateliers mensuels. Ce sont des moments de grande convivialité, pendant lesquels les participants prennent plaisir à composer et à écouter les productions des autres. Certains d’entre eux ont été lauréats de concours de nouvelles et ont été publiés. Je suis très fière d’eux !

Claire Parma (C.P.) : Bonjour ! Je suis comédienne-conteuse, essentiellement à travers la Cie Les Voix du Conte. Notre compagnie crée des spectacles autour des arts de la parole – en laissant, évidemment, une place importante au conte. Nous travaillons également sur des textes d’auteurs, de la poésie, des enregistrements… l’éventail est très large ! Ma dernière création, par exemple, une petite forme théâtre, met en scène les textes magnifiques écrits par Etty Hillesum, une Juive Hollandaise ayant vécu la Seconde Guerre mondiale. Souvent, les histoires que je raconte touchent tous les âges, des tout-petits aux adultes. Je travaille en solo… ou avec des musiciens et d’autres conteurs. Tout dépend du projet. En parallèle, j’anime également des ateliers autour du conte, soit à destination des adultes (apprentis conteurs) ou pour les enfants, en particulier dans les écoles.

Si je devais résumer mon approche, je dirai ceci : raconter, c’est illuminer les mots d’une musique nouvelle, à la lumière de la réalité de son auteur, à travers l’incarnation du verbe et l’imagination créatrice de la parole. Cette parole poétique, musicale, rythmique, se fait truculente, joueuse, joyeuse, cinglante, silencieuse. ​Alors ce Dire peut être un pont depuis le je au nous jusqu’au fin fond de l’horizon. Libre toujours.

La Pépinière : Dans cette période très instable, beaucoup de choses ont bougé pour le monde culturel au sens large. Je suppose que beaucoup de vos activités artistiques ont été mises sur « pause », non ?

J.M. : Dès le début du mois de mars, j’ai proposé à la MJC de mener mes ateliers par courriels, pour éviter que les adhérents soient en contact physique les uns avec les autres. C’était avant le confinement et la fermeture subséquente des bâtiments de l’association. J’ai reçu un feu vert et ai donc poursuivi mes ateliers de mars en ligne : envoi d’une proposition par courriel autour du rêve, réception, relecture et corrections des textes, envoi de pistes de réflexion et échanges entre participants après lecture des uns et des autres. Même si nous n’étions pas en présence des uns et des autres, c’était une bonne manière de garder contact.

Après que ces ateliers ont eu lieu en mars, la MJC a envoyé un message à ses « prestataires de service »  pour leur interdire de mener des activités en ligne, indiquant que tout travail de ce type serait de notre seule responsabilité et ne serait donc pas payé… Suite à mes demandes insistantes et les courriels de soutien des adhérents, j’ai finalement été rémunérée fin avril. Par contre, je n’ai pas  été en mesure de proposer à mes adhérents de reconduire la formule pour les autres mois de confinement. Cela est regrettable, car ces ateliers donnaient à certains une occupation ou un échappatoire salutaire. Trois projets que j’avais dans d’autres établissements en mars, avril et juin ont également été annulés. Le COVID-19 a donc signifié pour moi un gel quasi-total des revenus. J’ai effectué une demande d’aide financière à l’État dans le cadre du Fonds de solidarité mis en place par le gouvernement français, que j’ai reçue très rapidement.

En parallèle, dès le début du confinement, j’ai lancé l’atelier en ligne Echenevex ++++, afin que les habitants de mon village puissent maintenir un lien entre eux. Sur le modèle des ateliers MJC (mais gratuitement), je propose une piste d’écriture (j’envoie des extraits de romans, des photos, parfois je me filme en train de lire), puis je compile les textes que je renvoie au groupe pour lecture. Je n’ai pas le temps de les commenter comme je le ferais normalement, à cause du nombre important de textes reçus.

Les ateliers Echenevex ++++ ont pour vocation première d’aider les participants à vivre cette période autour d’un acte commun : la création. D’abord circonscrit à des amis et des voisins, le groupe s’est ouvert aux amis d’amis, à la parentèle, aux participants MJC, à la MLDS, aux autres villages du Pays de Gex, à d’autres régions de France… et finalement à la Suisse et la Grèce, grâce à des réseaux de connaissances ! Je remercie la mairie d’Echenevex, la bibliothèque municipale, l’école de musique EMCCE et l’office de tourisme du pays de Gex qui ont largement relayé ma proposition.

Le groupe accueille désormais une cinquantaine de participants qui ont entre 8 et 80 ans. Certaines personnes travaillent ou télétravaillent, d’autres sont à la retraite, les derniers à la maison, à l’école, au collège ou au lycée. Je reçois toutes les semaines entre 20 et 30 textes. Ils sont divers et souvent très bons. Je sens même au fil des semaines des styles s’affiner. Et les retours sont délicieux. Beaucoup me disent avoir ainsi l’occasion de penser à autre chose ; l’écriture devient un moyen d’évasion. Les propositions rythment le temps et la lecture des textes devient pour nombre de participants un rituel. Enfin, des personnes qui n’auraient jamais écrit autrement se découvrent un réel plaisir pour cette pratique.

Ces textes sont désormais lus par des animateurs aux résidents des maisons de retraite de Gex et de Divonne-les-Bains. Certains sont accrochés sur le lieu de travail de participants, qui en font ainsi profiter leurs collègues. Une enseignante a proposé un de mes sujets à ses élèves… J’aime dire que les mots volent et dépassent les murs et les frontières.

C.P. : Comme pour Julie, le confinement a changé toute mon activité puisque, art vivant par essence, le conte se joue surtout devant un public. Je me suis retrouvée avec des dizaines d’annulation de spectacles et cela va se poursuivre bien au-delà du confinement, puisque le secteur des arts vivants va être gelé au moins jusqu’en septembre… C’est donc un tsunami que nous, les artistes, devons affronter pendant sans doute longtemps. Néanmoins, dès le départ, avec et malgré ces difficultés,  il a  fallu rebondir, déplacer son travail. Je consacre donc une partie de mon temps à travailler sur deux créations, en lien avec deux autres compagnies. Mais j’ai aussi eu envie de m’emparer de cette période si particulière pour penser la création autrement et faire de ces difficultés un terrain de jeu – d’où la naissance de deux projets : À voix mêlées et Écoutez voir. Le premier consiste en une mise en voix et une mise en musique de textes écrits par des membres de l’atelier d’écriture de Julie ; le second est une mise en dessin de contes traditionnels (par trois artistes différents), à partir  de ma version enregistrée en audio. L’idée est, bien entendu, de donner à entendre autrement, avec les contraintes du moment, de jouer de ces contraintes. Par exemple : comment un artiste s’empare-t-il d’un enregistrement pour travailler à l’oreille, à la musique de la voix, travail pour certains presque en direct, sans retouche ? Voilà tout l’enjeu. L’idée a surtout été de rebondir, de continuer à être dans les arts « vivants », de faire du lien entre public et artiste, entre artistes eux-mêmes – et de semer autrement pour penser l’après.

La suite de cet entretien est à retrouver ici.

 Propos recueillis par Magali Bossi

Infos pratiques :

À voix mêlées et Écoutez voir, deux projets interdisciplinaires à découvrir sur la chaîne Youtube de la Cie Les Voix du Conte, ainsi que sur Facebook… sans oublier le site de la compagnie : www.lesvoixduconte.fr !

Série autour des rêves :

https://www.youtube.com/watch?v=Dc3YFLfSpTk&feature=youtu.be

Série autour des fenêtres :

https://www.youtube.com/watch?v=TI9OiGnmD_4

https://www.youtube.com/watch?v=0sHdq5c6-t4

Photo : © Yuiko Tsuno

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

3 réflexions sur “À voix mêlées / Écoutez voir : projet confiné à plusieurs mains… (1)

  • Ping : À voix mêlées / Écoutez voir : projet confiné à plusieurs mains… (2) – l a p e p i n i e r e

  • Delsol Anne-Marie

    Belle aventure qui nous aura liés par l’écriture et la lecture de tous ces textes qui nous ont emmenés au-delà de nos murs à la découverte d’autres univers pendant cette période si particulière et inquiétante.
    Plaisir d’entendre ces textes, plaisir d’ autant plus grand de savoir qu’ils sont lus aux personnes isolées des EPHAD du Pays de Gex.
    Heureuse initiative de Julie et Claire. Belle expérience pour tous !
    Merci.

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    • Magali Bossi

      Merci pour votre retour ! Julie et Claire méritent chacun de vos mots si gentils. 🙂
      À bientôt, et bonne soirée !

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