Alchimic : dernier soupir pour Laurent Deshusses ?
Du 2 au 17 février, le Théâtre Alchimic vit au rythme des rires, avec le dernier one-man show de Laurent Deshusses, Ma vie de courbettes. Seulement voilà, une invitée surprise gâche la fête…
Dans Ma vie de courbettes, Laurent Deshusses se met en scène, avec la collaboration artistique de Pierre Naftule, Sibylle Blanc et Pierric Tenthorey. Tout commence avec trois lettres géantes, L.D.S., entourées d’ampoules et rehaussées de rouge, disposées sur la scène de gauche à droite. Ces trois lettres, ce sont des rescapées : « Avant, il y avait mon nom complet ! », s’exclame l’humoriste. Seulement voilà, le décor a été saccagé par une troupe de danseuses vindicatives, qui devait ouvrir le spectacle en grande pompe. Qu’importe ! Laurent Deshusses a revu ses ambitions à la baisse : les trois lettres survivantes assureront le décor (le « S » a d’ailleurs perdu la tête dans la bagarre) ; quant aux chorégraphies, il les assurera seul. Rires dans la salle. C’est vrai qu’il danse bien, le bougre. Avec beaucoup d’autodérision et un aplomb du diable.
Entre Dubosc et réactite
Tout commence pourtant de manière un peu téléphonée. Gags et humour de quinqua qui font davantage rire mes voisins que moi : « Avant, j’étais à gauche, je roulais mes cigarettes, je portais un bonnet et je mangeais du quinoa. Maintenant, je suis victime de réactite, une affection très commune chez les gens de mon âge. Je fais mes courses chez Globus, je vote à droite et je chante du Sardou. Bref, je suis devenu con. » Ça, c’est lui qui le dit – du moins, en substance. Manque de chance, moi, je suis assez quinoa… bref. Pour moi, ce n’est pas la franche rigolade. Il y a quelque chose de Frank Dubosc, chez Laurent Deshusses, avec ces gags en dessous de la ceinture, ces histoires attendues (comme celle sur les piscines publiques où on se soulage sans complexe), ces virgules musicales où on se déhanche. Quelque chose de Knie, aussi, avec le rythme soutenu des blagues qui rappelle un peu la manière dont Monsieur Loyal guide le public. D’ailleurs, l’humoriste était en tournée avec le cirque suisse en 2012… Bon, j’avoue, à ce stade, j’ai quand même craqué pour l’assistant de Laurent Deshusses, un sympathique Welsh Corgi prénommé Ludwig (si j’ai bien entendu !), qui a tout d’une bête de scène. Là encore, Knie n’est pas loin. Sans oublier la Revue, dont on retrouve par moments la saveur.
Mais peu à peu, je me suis laissé entraîner. Laurent Deshusses parle de son métier. Comédien, c’est pas facile. Et à Genève, en plus… À un moment, faut bien songer à la reconversion professionnelle. Prof de yoga. Securitas. Ou tyrannosaure dans une exposition montée par un grand supermarché – mon option favorite ! Malheureusement, « tyrannosaure, y’a pas trop de débouchés ! »
Macabre revirement
À ce stade, Ma vie de courbettes aurait pu se contenter de proposer un one-man show agréable, sans réelle prise de risque. J’aurais passé un bon moment, et voilà. Seulement, il y a aussi quelque chose de Belmondo, chez Laurent Deshusses. Et, plus précisément, de Belmondo dans Le Magnifique.
Le Magnifique, c’est ce film de Philippe de Brocca, sorti en 1973, où tout commence par les aventures rocambolesquement ridicules de l’agent secret Bob Saint-Clar, sorte de James Bond caricatural. L’intérêt de ce film, c’est qu’au moment où on se dit « oui, bon, et après ? » – à ce moment précis, c’est là que ça devient intéressant. Car Bob Saint-Clar est en réalité un personnage de roman, inventé de toutes pièces par François Merlin, romancier malchanceux qui confond un peu trop fiction et réalité. Ma vie de courbettes, ça a été mon Magnifique théâtral à moi. Et c’est là que l’écriture de Laurent Deshusses est habile et prenante : alors que les gags s’enchaînent, que tout semble rouler sur des roulettes un peu attendues… une panne de courant met tout par terre. Dans la nuit, de drôles de bruits – et soudain, une grande silhouette. Cape noire, une faux… non ! ce ne serait pas… et oui.
La Mort en personne vient chercher Laurent Deshusses.
Ça grince, ça grince !
À partir de là, Ma vie de courbettes glisse vers le grinçant, l’irrévérence, l’humour noir. Comment, la Mort est déjà là ? Mais pourquoi ? Pourquoi lui, pourquoi maintenant ? « Vous pouvez pas choisir quelqu’un d’autre ? », s’insurge le comédien. Mais qui ? Un humoriste vaudois, quelqu’un du public… « N’importe qui, mais pas moi ! » Pour gagner du temps, il négocie avec la Mort : d’accord, il partira avec elle… « mais après le spectacle, hein ! » Il faut donc gagner du temps. La visiteuse inattendue est l’occasion pour Laurent Deshusses de se lancer dans l’introspection, d’examiner sa vie, ses souvenirs – mais sans lourdeur, sans pathos. Il met le doigt sur les petits travers qu’il a essayé d’abandonner (comme le goût pour la critique, le sarcasme et l’ironie, trois nuances du persiflage qu’il détaille avec délices). Au final, il nous met face à un sujet qu’on aborde assez peu au théâtre – et qu’on rencontre rarement dans les spectacles comiques : le bout de la route, on y arrivera tous. Tôt ou tard.
Mais le moment à la fois le plus touchant, le plus drôle et le plus réussi du spectacle est pour moi l’évocation des souvenirs d’enfants – et des séries télévisées que Laurent Deshusses attendait avec impatience de voir, le samedi soir. Entre génériques et mimes, on se replonge dans Flipper le dauphin, Les Mystères de l’Ouest ou encore Zorro. Petite madeleine de Proust pour ceux qui ont connu ça, enfants ; plongée dans un passé découvert via des rediffusions, pour les plus jeunes. Moi, j’ai adoré.
Pourtant, la Mort n’attend pas. Elle rôde, elle soupire, elle s’impatiente – et elle n’a pas du tout, DU TOUT d’humour. Qu’arrivera-t-il à Laurent Deshusses ? Je ne vendrai pas la mèche, même si son spectacle affiche complet à l’Alchimic, jusqu’au 17 février. Pour le découvrir, il faudra vous rendre du 2 au 5 mai au Casino-Théâtre de Genève.
En sortant, une question me taraude encore. La Mort a-t-elle payé sa place ?
Magali Bossi
Informations pratiques :
Ma vie de courbettes, de Laurent Deshusses, du 2 au 17 février 2019 au Théâtre Alchimic.
Avec la collaboration artistique de Pierre Naftule, Sibylle Blanc, Pierric Tenthorey.
Avec Laurent Deshusses.
https://alchimic.ch/ma-vie-de-courbettes/
Photo : © Théâtre Alchimic