Les réverbères : arts vivants

All Can Be Softer : performance et inconscient

Au Théâtre Saint-Gervais, on danse, on projette, on chante – bref, on performe. Les samedi 6 et dimanche 7 octobre, la performeuse Renée Van Trier a investi les planches, avec All Can Be Softer. Une expérience… perturbante.

All Can Be Softer (Tout peut être plus doux) est ma première pièce de la saison. Une prestation polyphonique pour artiste unique. Une performance. 38 minutes de boucles musicales, de rythmes sourds, de chants et de jeux de voix, de danses, de mouvements et de projections. 38 minutes de plongée dans un inconscient surprenant. J’y ai mis les pieds sans arrière-pensées, avec la curiosité de celle qui ne sait pas vraiment où elle va. Le titre promettait de la douceur ; le synopsis, de l’énigmatique.

Pour la douceur, on repassera. All Can Be Softer m’a plutôt fait l’effet d’une claque, qui a bouleversé mes conceptions esthétiques. C’était la première fois que j’assistais à une performance. Je n’avais donc aucun point de comparaison, aucun repère pour me saisir d’un objet à la fois étrange et étranger.

Étrange 

Par sa conception. – Sur scène, tout est noir. Puis, brutalement, la projection commence. Un ovale blanc, entourant des messages elliptiques. On discerne certains mots. Rich. Et d’autres lettres, incompréhensibles. Les sons se mêlent aux images. Un rythme sourd, régulier, comme un métro qui roule. S’y ajoutent des notes graves, puis de plus en plus aiguës, s’aiguisant les unes contre autres comme l’accord d’un gigantesque orgue. Au fond du plateau, une silhouette commence à bouger. Elle avance de manière saccadée, à la fois géante et voûtée. Est-elle sorcière, naine, elfe, monstre, humaine… ? Peu à peu, les yeux s’habituent et discernent mieux : c’est une femme, courbée, dont l’ombre géante contamine les projections. Elle commence à chanter. La scène change. All Can Be Softer se compose de différents tableaux, comme autant d’ambiances qui entrent en écho dans un ordre mystérieux. Les projections sont tantôt lumineuses, tantôt sombres ; la voix plonge dans les tréfonds ou monte vers le ciel. Les gestes tournent en boucle, comme les paroles. Quels sont les liens qui se tissent entre eux ? En quoi le retour des mouvements répond aux reprises musicales, aux rythmes qui reviennent, aux images qui se croisent ? On ne sait pas, on ne nous laisse pas savoir. On nous laisse juste ressentir, être plongé dans un environnement visuel et sonore, presque tactile tant les basses électroniques et la voix entrent sous la peau.

Étranger 

Par sa narration. – All Can Be Softer ne raconte rien. Ou du moins, rien que je n’ai réussi précisément à nommer. Les tableaux ne se ressemblent pas. Ils sont suffisamment énigmatiques pour se mêler les uns aux autres, suffisamment inexplicables pour former un tout qui n’en est pas un. Une créature qui marche courbée, une autre qui distribue des coups de pieds, une encore qui berce un fœtus fripé… cette créature, c’est Renée Van Trier. Elle est à la lisière du conte de fée et du récit primitif, d’un univers futuriste et d’un imaginaire d’avant l’invention du temps. All Can Be Softer fait l’effet d’une plongée dans son inconscient – mais elle ne nous fournit pas les clefs. Elle nous projette violemment face à ses peurs, ses rêves, ses espoirs, sans les expliquer, sans les analyser. Juste de la matière brute. Et c’est ça qui est perturbant. Dérangeant, même. Se retrouver sans filtre, sans protection, dans l’inconscient d’une autre. D’une étrangère.

All Can Be Softer était-elle une bonne performance ? Je ne sais pas. C’en était une, en tout cas. M’a-t-elle apporté quelque chose ? Je ne sais pas. Elle m’a forcée à me poser des questions, à m’interroger sur ce que je pouvais penser, éprouver et ressentir en 38 minutes, à la fois physiquement et psychologiquement.

Ça fait déjà beaucoup, non ?

Magali Bossi

Infos pratiques :

All Can Be Softer, les 6 et 7 octobre 2018 au Théâtre Saint-Gervais.

Conception et jeu : Renée Van Trier

Photos : ©Saara Autere

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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