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Argent, sexe et célébrité dans Baba au rhum

Envie d’un dessert… ou d’une aventure débridée ? Pourquoi ne pas opter plutôt pour un chouette roman romand (sans mauvais jeu de mot) ? En 2016, Philippe Lamon signait Baba au rhum aux éditions Cousumouche. À (re)lire sans hésiter !

Dans la vie, qu’est-ce que vous aimeriez être ? Prof de français pour ados boutonneux ? Romancier à succès (en devenir), dont on a refusé 154 fois le même manuscrit ? Nègre pour un éditeur proche de ses sous ? Biographe officiel d’une chanteuse célèbre (mais totalement has been) ? Chercheur professionnel de python fugueur ? Amoureux transis de votre meilleure amie qui collectionne les sacs à vomi des compagnies aériennes ?

Moi, je trouve que la question mérite d’être posée.

Un héros… zéro ?

« Tu as vu Le Magnifique ? […] Je l’ai vu pour la première fois à huit ou neuf ans. Belmondo y campait François Merlin, un romancier minable dont le héros était l’agent Bob Saint-Clar, une sorte de projection flamboyante de lui-même. L’entourage de Merlin apparaissait dans son roman et était malmené selon son humeur. Son plombier récalcitrant incarné par Jean Lefebvre était trucidé par quelques frappes rageuses de machine à écrire. Son éditeur véreux en prenait aussi pour son grade sous les traits de l’ennemi juré de Saint-Clar, l’infâme Karpov. […] C’était jubilatoire. Tout était dit sur le pouvoir démiurgique de l’écrivain. Mes yeux de gosse brillaient. Je savais que plus tard je serai François Merlin et personne d’autre. » (pp. 60-61)

Damien Dumas, le héros du roman Baba au rhum, cumule toutes les casquettes évoquées précédemment. Sous la plume pince-sans-rire de Philippe Lamon, la destinée de cet écrivain en devenir va connaître de nombreuses péripéties. Tout commence par une phrase choc : « Je serai franc ave toi, Damien. Ton roman, c’est de la merde ! » (p. 12) Ce roman, refusé 154 fois échoue sur le bureau de Jean-Marc Figlioni, éditeur davantage spécialisé dans les scandales que dans la prose ciselée. Figlioni offre à Damien une place en or : celle de biographe officiel de Veronica Lippi, chanteuse qui a connu la gloire dans les années 80 avec un unique tube, Baba au rhum. Le but ? Faire de l’argent en revenant sur les souvenirs sulfureux d’une couguar has been mais bien conservée. À Verbier, Damien rencontre Veronica dans son chalet. De confidences en révélations, il découvrira une femme étonnante, amoureuse des serpents et remplie de ressentiments à l’égard des hommes. Show-biz, sexe, alcool et rock’n’roll ne seront jamais loin…

« Le chalet de Veronica Lippi surplombe la station. Un endroit bucolique bercé par le murmure d’un ruisseau. À peine troublé par l’écho des jurons des ouvriers qui s’activent autour d’une grue plus bas. J’emplis mes poumons de l’air frais de la montagne (chargé d’une subtile note de purin) et prend mon courage à deux mains. […] Et je la vois. Étendue sur une chaise longue à lire un magazine. Bikini, lunettes de soleil et chapeau de paille. » (pp. 33-34)

Décaper le show-biz

Dans Baba au rhum, Philippe Lamon fait preuve d’efficacité. Il dépeint le monde du show-biz avec humour, forçant le trait et grossissant le réel… mais pas tant que ça. À travers les yeux de Damien, on se sent perdu dans cet univers de faux-semblants, de gros sous et de bling-bling. Mais c’est jubilatoire : qui n’a jamais rêvé d’explorer les travers de ceux qu’on présente comme des stars ? D’un rebondissement à l’autre, Damien tente de cerner le personnage de Veronica, pour mieux la décrire… peine perdue, car la chanteuse se dérobe à ses projections et que l’intrigue ne l’emmène jamais là où il veut ! On sent que Lamon s’amuse avec son héros, et ça marche : Baba au rhum est un roman qui se lit vite, avec beaucoup de jubilation et d’éclats de rire. Lamon surfe sur les phrases chocs des magazines people avec beaucoup d’adresse – en particulier dans les passages tirés de l’autobiographie rédigée par Damien.

Bien sûr, il y a des stéréotypes : chaque personnage représente un « type » facilement identifiable. Du héros (l’écrivain en devenir) à la chanteuse (couguar, alcoolique, mais généreuse), en passant par la meilleure amie (Julie, dont Damien est évidemment amoureux), l’éditeur (sadique et exigeant)… et même la fille de la star. Ce dernier personnage est peut-être celui qui m’a le plus déçue, le moins fait rire : fille de Veronica Lippi, Marilyn Agnelin est le stéréotype de la thésarde. Elle mène un doctorat à Lausanne et travaille sur un sujet improbable (Jörg Spiegeldorfer, le fils d’un coiffeur suisse qui a tenté d’assassiner Adolf Hitler avec une paire de ciseaux, s’est raté et n’a jamais été réhabilité par la Confédération pour son acte manqué héroïque). C’est le prototype du rat de bibliothèque : peu soignée, pas féminine et persuadée de son intelligence, elle en veut à mort à Veronica, qu’elle accuse de ruiner sa vie. Un peu facile, en somme – même si on rit…

Ce qui est plus intéressant en revanche, c’est que Lamon place Damien, son héros, sous les auspices de plusieurs figures d’écrivains : François Merlin (le héros malchanceux du film Le Magnifique) et Gustave Flaubert (l’incarnation du romancier moderne) – sans parler d’Alexandre Dumas & fils, dont Damien porte le nom de famille. Damien se retrouve donc balancé entre les exigences monétaires de son éditeur, sa fierté d’auteur amoureux du beau style et sa conscience flaubertienne, qui lui reproche de prostituer sa plume. Comme les héros de Dumas, il connaîtra des aventures rocambolesques. Au final, il arrivera à trouver un compromis assez satisfaisant et expérimentera, dans l’autobiographie qu’il livre de Veronica, le « pouvoir démiurgique de l’écrivain »…

Bref, vous l’aurez compris : Baba au rhum est un bon roman, à lire sans prise de tête et au second degré. Et si, en plus, vous sortez un verre de Petite Arvine et un dessert maison, c’est encore mieux !

Magali Bossi

Référence :

Philippe Lamon, Baba au rhum, Genève, Cousumouche, 2016.

Photo : © Magali Bossi

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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