Le banc : cinéma

Axiom, une mise en garde musicale et imagée

Aujourd’hui, c’est une critique cinéma un peu particulière que nous proposons, puisqu’il s’agira d’allier musique et image, avec un film de 37 minutes créé pour illustrer un album. Axiom, c’est le nom de ce projet hors du commun.

En 2014, le groupe londonien de trip hop Archive sort son neuvième album, Axiom. Ce nouvel opus marque également les vingt ans d’existence du groupe, même si les membres qui le composent ont radicalement évolué depuis sa création. Pour l’occasion, Darius Keeler et Danny Griffiths, les fondateurs d’Archive, ont décidé de collaborer avec le collectif espagnol NYSU et David Gambero, en proposant un court-métrage d’une quarantaine de minutes, afin d’illustrer l’album. L’idée n’est venue qu’une fois l’album terminé, d’où la difficulté pour les collaborateurs de créer des images en résonnance avec la musique. Le court-métrage se compose de 7 scènes, chacune correspondant à une chanson.

L’ouverture se fait sur Distorted Angels. Sur la scène d’un grand théâtre, un homme enlève sa capuche et entame une chorégraphie composée de mouvements en langue des signes. Lorsqu’il ouvre les yeux, ils sont entièrement blancs. Arrivent alors des hommes en noir armés de mitraillettes, qui s’en prennent aux spectateurs. Le comédien, impassible, continue son numéro. Le tireur censé l’abattre hésite, puis tire une balle entre ses deux yeux. There’s a fear : c’est par ces paroles que se clôt le chapitre 1. Porté par la voix cristalline de Pollard Berrier, ce premier chapitre met en place l’existence de deux camps, sans savoir ce qu’ils représentent. C’est une atmosphère inquiétante qui s’annonce, dans une ambiance abstraite qui laisse chacun dans l’attente.

Chapitre 2. Une corde. Un homme s’y accroche. Il semble à bout de forces. La musique résonne, comme un écho, jusqu’à ce qu’un son de cloches retentisse dans l’air. Une voix indistincte se fait entendre. On change de lieu. Dans son salon, une vielle femme tricote en regardant la télé. À l’écran : un homme, un prêcheur semble-t-il. Le son des cloches est toujours là. Un couple apparaît, la femme tient un bébé dans ses bras. Elle s’enferme dans un bunker, sous le regard approbateur de l’homme. Il ressort dans un sous-sol, comme une mine, et y retrouve d’autres hommes. Tous souffrent, entendant les cloches et la voix du prêcheur qui résonne de plus en plus fort. Soudain, la voix s’arrête. On ne voit plus qu’une bobine qui tourne, bobine sur laquelle un mot apparaît : Axiom. La guitare de Dave Pen vient alors s’accorder au son des cloches. Changement d’univers. Des images de l’océan à l’écran, avec une voix-off qui décrit ce qu’est Axiom : un monde parfait créé par Dieu. John Preacher, celui qui parlait auparavant, est le leader de ce qui semble être une secte. Tout s’éclaire petit à petit pour le spectateur : les personnes dans le théâtre semblent être des résistants qui ne veulent pas suivre le dogme de John Preacher. Dans ce second chapitre, on apprend qu’ils sont appelés Deaf angels – les anges sourds.

Chapitre 3. Baptism. Une silhouette presque momifiée dans de la corde. Seuls ses yeux dépassent encore. Un homme arrive dans la cave où elle est enfermée, déroule un parchemin. Il commence à déclamer ce qui est écrit. La voix de Dave Pen, qui chante dans ce chapitre, se mêle à l’image. La corde se déroule, happée par un être à capuche noire. La mort ? On ne le sait pas. La voix de Dave Pen revient, mais cette fois-ci c’est l’homme attaché qui s’exprime. On le torture pour savoir où est Black Icarus, le chef des Deaf angels. La corde continue d’être tirée. Elle sort de l’homme. On lui arrache la vie.

Chapitre 4. Transmission Data Terminate. Dans un centre d’appels, des informations sont récoltées et traitées par des fanatiques membres d’Axiom. Accompagnés par les voix de Pollard Berrier et Holly Martin, ils traquent les Deaf Angels. Le chapitre se termine sur l’image d’une des employées, dont il semble qu’elle va être étranglée par un homme en noir ganté debout derrière elle.

Chapitre 5. The noise of flames crashing. Une femme entre dans un immeuble désaffecté. La douce voix de Maria Q l’accompagne. Une femme l’attend, s’assied sur une chaise et s’y attache. La première femme sort une fiole d’acide, sur laquelle il est écrit Freedom. Liberté. Elle en verse quelques gouttes dans les oreilles de l’autre femme. Tout prend alors sens. Le nom des Deaf angels. C’est le seul moyen d’échapper au prêcheur d’Axiom : devenir sourd pour ne pas entendre ses paroles fourbes.

La neige tombe. Shiver, le chapitre 6, commence. On retrouve l’homme noir du début. La voix de John Preacher se mêle à celles de Dave Pen et Pollard Berrier, qui chantent. On change de décor. Au bord de l’eau, le messager de Black Icarus apparaît. Send my messenger to all, dit la chanson. La voix de John Preacher est de moins en moins forte, jusqu’à devenir un simple écho. Tous se rebellent, une fiole d’acide à la main. Dans une scène tournée en slow motion, ils se battent contre des hommes en uniforme. L’empire s’effondre.

Pour clore le film, c’est une reprise du chapitre 2, Axiom, qui intervient. À l’image, tout semble s’apaiser. Le générique défile. À quoi vient-on d’assister ?

Axiom, c’est une métaphore du monde actuel, du moins celui qu’il était en 2014. Une vision peut-être pessimiste, mais qui met en tout cas en lumière toute la tristesse et l’oppression qui nous entourent. Inspiré de 1984 ou V pour Vendetta, Axiom tend à montrer que le fascisme du passé revient à la surface et que ce sont toujours les étrangers qui sont visés. On ne peut que le constater au vu de certains événements de ces dernières années – le dernier en date étant la mort de George Floyd. On peut également citer l’entêtement des médias à préciser l’origine des coupables d’attentats, quand ceux-ci ne sont on des origines étrangères et la montée des partis d’extrême droite dans plusieurs pays. Personne ne sort vainqueur de l’affrontement dans ce court-métrage. Ni les partisans de John Preacher, qui peuvent être vus comme ceux du fascisme et du racisme, ni les Deaf angels qui, comme leur nom l’indique, restent sourds aux problèmes auxquels ils ont à faire face. Archive nous rappelle ainsi qu’il faut se battre pour ce en quoi on croit, oser affronter ceux qui s’opposent à la liberté, qui s’en prennent à certaines personnes ou groupes, et font monter un climat de terreur. Nous ne devons pas revivre les horreurs que le monde a connu durant le XXe siècle, qu’il s’agisse des guerres mondiales, des génocides, des attentats, tous liés à des peurs ou à des croyances souvent biaisées et mal comprises.

Les paroles, les voix, la musique et l’image se mêlent dans cette métaphore, pour mettre l’humain d’aujourd’hui face à la désintégration de la société, dans une mise en garde des dérives vers lesquelles on peut tendre, par peur. Peur de l’étranger, peur de la crise, peur de perdre une identité collective, peur aujourd’hui d’une trop grande surveillance de l’état… elles sont nombreuses, ces peurs qui motivent à se tourner vers un extrême. Archive et NYSU nous rappellent qu’il ne faut pas y céder. Espérons que le message passera…

Fabien Imhof

Référence :

Axiom, un projet  de Archive et NYSU, 2014.

Photos : ©Archive/NYSU

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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