Le banc : cinéma

Becoming Animal: Tout vit et tout s’exprime

Après avoir lu Becoming Animal: An Earthly Cosmology du philosophe et écologiste états-unien David Abram, les cinéastes Emma Davie et Peter Mettler réalisent un film qui donne forme aux idées du penseur à propos du rapport entre l’humain et la nature. 

L’élan 

Prendre le temps de filmer un élan, de filmer ses gestes, son corps, ses expressions ; prendre le temps de regarder et de s’attarder sur cet animal et de rendre sa présence étrange et mystérieuse: c’est de cette manière, en plan-séquence, que s’ouvre le film, annonçant ainsi au spectateur qu’il plonge dans un temps lent, un temps animal, et qu’à l’action se substitue la contemplation. Quelques plans plus tard, les deux cinéastes accompagnés du philosophe pénètrent la nuit pour y capter des images et des sons qui témoignent de présences non-humaines. Le tournage se déroule au Grand Teton National Park, dans l’état du Wyoming aux États-Unis. Le trio sillonne ce parc national comme des explorateurs de la perception, ils partent à la rencontre de nouvelles façons d’appréhender la nature, essayant ainsi de créer un contact sensible et direct avec ce réel fait d’animaux, d’arbres, de plantes, de montagnes, de vent et de fumée. 

Comment approcher la nature avec un regard nouveau, avec un regard qui se pose au niveau animal ? Comment éveiller un corps perceptuel qui s’affranchit – autant que possible – de la rationalité, de ses catégories et de son langage ? Par la technologie propose le film. 

Le paradoxe de la technologie 

Les réflexions qui habitent les cinéastes et David Abram soulignent l’hégémonie de la technologie dans les rapports que les humains entretiennent avec leur environnement. Mais au lieu de déplorer ce filtre technologique ou de fantasmer des temps anciens où êtres humains et animaux vivaient plus proche les uns des autres, ce constat est un point de départ pour chercher des formes de communication qui ne font non pas l’impasse sur la technologie mais qui au contraire l’incluent au cœur du dispositif. C’est par la caméra, les micros, les ordinateurs que les cinéastes façonnent un contact intime à leur environnement, le dispositif cinématographique ne se dissout pas dans la représentation de la nature, il ne s’efface pas au profit de belles images, il s’invite à l’inverse dans le cadre et fait partie intégrante du regard qui est porté sur cette dernière. 

Les cinéastes et David Abram se retrouvent également dans le champ, comme pour rappeler que derrière la technologie il y a des personnes aux commandes. Une mise en abîme montre les trois personnes à l’ouvrage, elle donne à voir comment ils mettent en place leur matériel et construisent un regard. En choisissant de mettre en évidence cela, Mettler et Davie témoignent du paradoxe auquel ils font face, celui de recourir à la technologie pour saisir au plus près l’environnement naturel.  

« This film is trying to create an experience of nature but it’s an artificial experience. [1]». La caméra permet de filmer en très gros plan un escargot – dont les mouvements ne sont pas sans rappeler ceux de la lave dans le film The End of Time de Peter Mettler -, elle permet également d’avoir le point de vue d’un oiseau en plein vol, et plus généralement elle permet des perceptions que les sens humains sont incapables d’avoir. En ayant recours à divers procédés audiovisuels les cinéastes enrichissent leurs perceptions, les outils cinématographiques ne sont pas un intermédiaire qui éloigneraient l’observateur (les humains) de l’observé (les animaux), au contraire ils font le lien entre les deux. 

Mais la technologie est également montrée par l’écart qu’elle crée dans ce rapport; la nature dans le parc national est muséifiée, elle est mise en scène le long des routes que l’on parcourt en voiture – très présent dans le film – et par les appareils photo et caméras que les visiteurs dégainent, elle ne devient plus que le spectacle d’elle-même. Les outils technologiques semblent ainsi uniformiser le regard porté par les humains, comme s’ils limitaient les perceptions à la simple utilisation de machines. La subtilité introduite par le film résiderait dans la prise de conscience que la technologie biaise notre rapport à la nature, qu’elle le conditionne, pour ensuite trouver des moyens de l’utiliser d’une autre façon. La voix du philosophe fait part de la distanciation qui s’opère entre l’humain et la nature, d’abord par le langage (« the written language and the linear narrative created a distance to nature [2]») et ensuite par la technologie. 

Un bison se trouve sur une route et les voitures, bloquées, forment une file. Ce plan présente les trois mondes coexistant : ceux des animaux, des êtres humains et de la technologie. Les deux derniers sont intimement liés, ils se superposent (la voiture englobant totalement les conducteurs) alors que les animaux se trouvent en dehors et paraissent un peu incongrus lorsqu’ils cheminent sur le sol goudronné. On ne sait pas très bien si les chauffeurs contemplent la bête ou s’ils attendent poliment que celle-ci s‘éloigne pour reprendre leur route, mais l’idée est claire : que ce soit par le langage, la lentille d’une caméra ou la vitre d’une voiture, le regard humain sur la nature ne se porte qu’au travers de prismes. 

 Exploration cinématographique qui relève de l‘intuition, Becoming Animal pose beaucoup de questions et invite le spectateur a éveiller en lui un regar animal et résolu. Tout part de l’hypothèse (ou de la constatation) que non seulement tout vit, mais tout s’exprime. A partir de là, il y a tant à essayer. 

Lou Perret 

Référence : 

Becoming Animal de Emma Davie et Peter Mettler 

Avant-première le mercredi 20 mars à 20h30 au Cinélux (en présence des réalisateurs) 

Dès le 20 mars au Cinélux 

Trailer : https://www.youtube.com/watch?v=Oia7EQupIZY 

 Photos : © Outside the Box 

[1] Ce film essaye de créer une expérience de la nature mais c’est une expérience artificielle]. Voir l’entretien: https://www.youtube.com/watch?v=yIuQjdZcFSk

[2] Le langage écrit et la narration linéaire ont crée une distance avec la nature

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *