Les réverbères : arts vivants

Contes en question aux Marionnettes

Dans Filles et soie, les contes de fées en prennent pour leur grade : Séverine Coulon les malmène jusqu’au 24 mars, au Théâtre des Marionnettes de Genève. Regard moderne, relecture féministe et décor poétique sont au rendez-vous !

S’il est une pièce qui m’a laissé un sentiment ambivalent, en ce début de printemps 2019, c’est bien Filles et soie. C’est un mercredi que j’ai poussé la porte du Théâtre des Marionnettes – un mercredi rempli d’enfants et de soleil.

Dans la peau de…

Anne est une fille. Une fille qui n’est pas bien dans son corps. Elle est toute ronde, toute large, toute opulente. Rien à voir avec les tailles de mannequins et autres longs cheveux qu’on vous vante dans les magazines ou les contes de fées ! Enfermée dans son corps, Anne l’est aussi dans le cube de ses pensées : cette prison de papier de soie, derrière laquelle elle disparaît à demi, fait autour d’elle comme des murailles, les murs à moitié transparents d’une chambre ou d’un château. Derrière ces écrans qui la cachent au monde et à elle-même, Anne rêve d’une autre peau. Sortir de sa peau d’âne, c’est possible ? Et pour devenir quoi ? Alors, elle se plaît à s’imaginer différente.

Elle devient Blanche, Blanche comme la neige – Blanche-Neige, la princesse tant désirée par sa mère. Sur l’écran de papier, Séverine Coulon dessine le conte, le fait vibrer grâce aux traits de peinture qu’elle appose en direct. Un paysage se dessine, qui raconte la maternité (grâce, notamment, à la rondeur du corps de l’actrice), le décès, le deuil, la rivalité, la vieillesse. Blanche et sa marâtre deviennent marionnettes découpées dans du papier, qui se poursuivent sans trêve. Des bribes du conte accompagnent ce décor évolutif, des mots qu’on saisit à moitié, des rimes. Si Blanche-Neige met traditionnellement en scène le choc de deux générations féminines, en rivalité pour la beauté, la conclusion que lui donne Séverine Coulon déroute : après tout, un jour ou l’autre, Blanche aussi va vieillir. Alors, autant accepter les rides ! On reste un peu sur sa faim : le message est là, peut-être à la fois trop peu développé et trop didactique malgré la poésie des décors. Paradoxal sentiment.

Anne se transforme encore. À présent, elle est Petite Sirène, dans un tableau coloré qui tient à la fois du mime et de la bande-dessinée. Ici encore, le corps de la comédienne a un rôle important : ses jambes (tout l’enjeu du conte d’Andersen) sont au premier plan, puisqu’elles vont incarner les deux principaux protagonistes – la Sirène et le Prince. Successivement chaussée de palmes, de chaussures à talons ou de baskets, Sandrine Coulon questionne la construction de l’identité féminine, à travers l’apparence. Faut-il renoncer à sa queue de poisson et à ses écailles pour être aimée ? S’épiler et porter des talons ? Souffrir en silence au nom du mantra « sois belle et tais-toi » ? Après une histoire d’amour passionnelle, la Petite Sirène connaîtra – comme Blanche-Neige – une fin inédite à son conte de fée : le Prince s’en ira batifoler avec d’autres poissons et elle vivra libre, seule, et sans avoir beaucoup d’enfants. Rires dans la salle.

Au final, Anne apprendra à délaisser sa peau d’âne pour devenir celle qu’elle veut réellement être.

Renoncer à la soie pour être soi

Filles et soie questionne la construction de l’identité féminine, les normes et les formes imposées, le diktat de l’apparence. Pour être soi, renonçons à la soie factice et imposée ! Sans être réellement nouveau, ce message a le mérite d’être développé de manière poétique, grâce au dispositif de la peinture sur papier de soie mis en place par Sandrine Coulon.

Pourtant, on se questionne sur la réelle portée de la pièce. Proposée aux enfants dès 5 ans par le Théâtre des Marionnettes, elle s’avère néanmoins difficile à comprendre pour le jeune public, tant par la complexité de son texte (par exemple, au niveau du vocabulaire très imagé) que par l’abstraction des symboles et des concepts amenés sur scène.

Cette réflexion m’est venue en ce mercredi ensoleillé, alors que je scrutai le jeune public venu aux Marionnettes. Beaucoup d’agitation, des rires, des cris – rien d’exceptionnel, car les jeunes spectateurs sont souvent très facilement captivés et, du coup, très « interactifs » (ce qui est toujours plaisant à voir !). Mais là, il flottait dans l’air un je-ne-sais quoi de dissipé. Arrivait-on vraiment à se plonger dans l’histoire ? Pour mes yeux d’adulte, la proposition de Sandrine Coulon semblait déjà bien complexe, par sa richesse visuelle, textuelle et sonore qui menaçait sans cesse de casser le fil rouge des interrogations d’Anne : pris dans la relecture des contes, on pouvait aisément oublier le propos de la pièce – la remise en question du féminin tel que décrit traditionnellement. Dès lors, pour de jeunes enfants, que reste-t-il au-delà des contes dont ils peuvent reconnaître les épisodes ? Qu’ont-ils perçus de la critique cachée derrière les histoires familières ? Pas de réponse à ces questions ; juste des interrogations persistantes.

Filles et soie m’a fait l’effet d’une pièce où, en raison du contexte particulier de ce mercredi après-midi, il était difficile de se plonger – mais une pièce malgré tout intelligente, riche en symboles et en critiques cachées. Peut-être son fil rouge mériterait-il d’être davantage étayé (en s’intéressant, par exemple, plus longuement au personnage d’Anne) ; peut-être son volet critique gagnerait-il à être étoffé (les alternatives à la féminité caricaturale des contes pourraient peut-être être davantage expérimentées) ; peut-être, enfin, serait-elle plus adaptée à un public légèrement plus âgé… ?

En tout cas, une chose est sûre : avec Filles et soie, on ne lira plus de la même manière les contes de fées.

Magali Bossi

Infos pratiques :

Filles et soie, du 13 au 24 mars au Théâtre des Marionnettes de Genève.

D’après Les trois contes de Louise Duneton, adapté par Séverine Coulon.

Mise en scène et jeu : Séverine Coulon

Photos : ©Jean Henry

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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