Des précieuses ridiculisées
Le Tour Vagabonde Festival fait escale à Genève du 26 avril au 17 juin. La première pièce au programme, Les Précieuses ridicules de Molière, a enchanté le public. Un spectacle qui mêle mise en scène moderne et texte ancien, à voir jusqu’au 11 mai prochain.
Le lieu
Inspirée du Globe Theatre de Shakespeare, la Tour Vagabonde siège habituellement à Fribourg. Cette année, à l’initiative de Valentin Rossier, elle s’est déplacée à Genève pour un Festival lors duquel seront présentées trois pièces : Les précieuses ridicules de Molière, L’île des esclaves de Marivaux et Le Dieu du carnage de Yasmina Reza. Dans ce théâtre à l’ambiance si particulière, dans lequel les comédiens se mêlent aux spectateurs, tout autour de la scène ou presque, on redécouvre avec plaisir le classique du célèbre dramaturge français.
Le préambule
Avant d’entrer dans le vif du sujet, les spectateurs bénéficient d’une intervention de José Lillo, metteur en scène genevois, qui présente en quelques mots le festival et le spectacle, rappelant, citations à l’appui, les buts de divertissement et d’éducation du théâtre, soulignant que cet art ne tombe en rien en désuétude. S’en suit un préambule à la pièce, dans lequel, Vincent Bonillo, qui signe également la mise en scène de la pièce, rappelle le contexte de l’arrivée de Molière à Paris et celui de la pièce, en revêtant le costume du gentilhomme à l’origine de la farce…
Le synopsis
Deux gentilshommes ont été éconduits par leurs promises et leurs fausses manières précieuses. Pour se venger, ils décident de les piéger en leur envoyant leurs laquais, déguisés en marquis et en vicomte, pour que ceux-ci se jouent des deux femmes, en singeant leurs attitudes. Complices, puis dindons de cette hilarante farce, ils rendent au texte de Molière toute son absurdité comique.
Un mélange entre moderne et ancien
Ce qui frappe dans cette mise en scène, ce sont d’abord les costumes. On s’attendait à voir deux précieuses ridicules … Balivernes ! On ne sera pas déçu. Avec leur maquillage grotesque, leurs coiffures s’apparentant à celles de l’époque, mêlés à leurs t-shirts modernes et leurs yoga pants, qu’elles garderont plus tard sous des robes faussement élégantes, leur allure détonne. Les deux faux gentilshommes ne sont pas en reste, avec les plumes extravagantes de l’un, accompagné de sa perruque d’époque – quelle n’est pas la surprise des spectateurs qui ne le connaissent pas, quand ils découvrent qu’il est chauve ! – et le maquillage volontairement raté de l’autre, rappelant le visage du Joker dans Batman. Le ridicule de ces personnages, moqués par le texte toujours aussi brillant de Molière, l’est donc aussi dans leur allure, modernisée pour l’occasion.
Vincent Bonillo a également l’intelligence de projeter le texte quelques siècles plus tard le texte sans y toucher. Expliquons la technique : gardant les mots exacts de Molière, il parvient à leur rendre leur tournure moderne, comme lors des retrouvailles entre les faux marquis et vicomte, dont l’un demande à l’autre de « le baiser encore », après l’avoir salué à la façon des Inconnus dans Auteuil-Neuilly-Passy, pour un joli clin d’œil au collectif d’humoristes. Je vous laisse imaginer la suite…
L’exagération se retrouve non seulement dans les costumes, mais aussi parfois dans le ton et dans la gestuelle. Si le spectacle aurait pu en devenir grotesque, il n’en est rien. Exceptées une ou deux scènes, comme celle s’apparentant à la parade nuptiale du paon ou encore l’adaptation musicale de l’impromptu du marquis, l’amplification de certains gestes apparaît justifiée. Le but des deux laquais n’est-il pas de se moquer des deux femmes et de leur attitude … ridicule ? En se montrant eux-mêmes ridicules, ils tendent un miroir déformant à leurs comparses, dans des effets hilarants qui ont conquis le public. Prenant également le risque de faire intervenir et réagir les spectateurs, ils réussissent là aussi où d’autres auraient échoué. Et le résultat est efficace, sur cette scène originale, où le public varié se rassemble autour de la scène. On citera encore les moments où le père et oncle des deux précieuses, enragé qu’elles ne se plient pas à la volonté du mariage, deviendra de plus en plus bestial – tout en gardant ses bonnes manières dans la descente des escaliers – jusqu’à quitter le théâtre et partir dans le parc Trembley en hurlant, pour une conclusion idéale à cette pièce.
Vincent Bonillo réussit donc son pari de moderniser Les précieuses ridicules. Son excellente troupe rend hommage au texte de Molière, lui rendant toute sa verve critique, pour un résultat hilarant, qui transpose les questions posées dans notre actualité, à savoir certaines problématiques sociales et de genre bien vibrantes aujourd’hui. Un grand bravo.
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Les précieuses ridicules, de Molière, dans le cadre du Tour Vagabonde Festival, du 26 avril au 11 mai 2019, au Parc Trembley.
Mise en scène : Vincent Bonillo
Avec Fiamma Camesi, Pierre Spuhler, Juan Bilbeny, Valerie Liengme, Roberto Garieri et Vincent Bonillo
https://tour-vagabonde-festival.ch/
Photos : © Carole Parodi