Les réverbères : arts vivants

Deux maris, un des secrets pour être épanouie ?

Jusqu’au 1er mars dernier, la compagnie Saudade présentait Dona Flor à table, une adaptation du roman de Jorge Amado Dona Flor et ses deux maris. Un spectacle qui alliait comédie, musique et… cuisine ! C’était à la salle du Môle, avec Cathy Stalder et ses trois acolytes.

Dona Flor et ses deux maris est l’un des romans les plus célèbres au Brésil. Alors que le fougueux et passionné Vadinho, premier époux de Dona Flor, multiplie les excès, il finit par décéder en plein carnaval. Vivant mal son veuvage et sur les conseils de ses amies, Dona Flor finit par épouser Teodoro, un pharmacien à la vie bien rangée. L’exact inverse de son premier époux, en somme… Ils vivent leur quotidien paisiblement, jusqu’au retour de Vadinho d’entre les morts, qui regrette avec grande amertume la nouvelle vie de sa veuve. Bien que Dona Flor soit la seule à le voir, que pensera la morale si la jeune femme succombe à ses avances ?

À la découverte de la culture brésilienne

Dona Flor à table. Le choix de ce titre peut paraître étrange. Il ne l’est pas tant lorsqu’on connaît les habitudes de la compagnie Saudade. Comme dans son précédent spectacle, consacré à Frida Kahlo (Frida à table), Cathy Stalder cuisine sur la scène pendant le spectacle. C’est donc, entre autres, une culture culinaire qu’elle nous invite à découvrir, en préparant une délicieuse « Moqueca de Bahia », un plat à base de crevettes et d’épices, qui ravit les papilles du public. Dans un moment convivial à la fin du spectacle, elle invite ainsi les spectateurs à partager leur expérience, tout en appréciant les plats délicieux du pays dans lequel ils se trouvent depuis un peu plus d’une heure.

Car ce spectacle, c’est aussi un hymne à la culture brésilienne. Accompagnée les trois excellents musiciens que sont Guido Bologna, Edo Santa et Cinzia Corda, qui tient également le rôle de narratrice et chanteuse. Les musiques, composées pour l’occasion ou arrangements de morceaux connus, apportent une véritable profondeur au spectacle. Chantées en français et en brésilien, elles permettent de narrer certains passages qui ne peuvent pas être joués, d’illustrer l’état intérieur de Dona Flor ou simplement de créer des intermèdes lui permettant de cuisiner ou de changer de costumes. Tous les sens sont ainsi mis en éveil, l’ouïe étant convoquée, en plus de la vue, du goût et de l’odorat….

De la culture, on retient aussi la religion Candomblé, très présente dans le spectacle. Cette confession afro-brésilienne est l’une des plus populaires au Brésil. Polythéiste, elle n’est pas sans rappeler la mythologie grecque à certains égards. Ainsi, lorsque Dona Flor est surprise de voir son mari revenir, elle ne sait que faire, et décide de s’en remettre aux orixás pour le ramener dans le monde des morts. Ces forces totémiques représentent les pouvoirs de la nature et sont considérés comme très puissants. Tout est ainsi rassemblé pour nous imprégner d’une bonne partie de la culture brésilienne et aider ainsi le spectateur à mieux appréhender le contexte dans lequel s’inscrit ce texte.

Et la morale dans tout cela ?

Car c’est bien d’une question de morale dont il est question dans ce spectacle. Dona Flor fait face à un grand dilemme : conserver ses deux maris pour être entièrement comblée – dans sa vie quotidienne bien rangée par l’un et dans sa sexualité par l’autre – ou ne garder que Teodoro, l’opinion publique ne pouvant accepter de voir une femme adultère au sein de la communauté. Ce dilemme central, qui questionne nos mœurs, sera résolu d’une manière surprenante. D’abord, Vadinho résiste aux dieux qui veulent le renvoyer dans le monde des morts. Dona Flor finira par s’opposer aux orixás, qu’elle avait elle-même convoqués, ne pouvant se résoudre à perdre la passion de son premier mari. Ce premier élément en dit long sur la force de la passion et de l’amour, capable de résister même aux entités les plus puissantes du monde. Finalement, vous l’aurez compris, elle choisit de conserver ses deux maris à ses côtés pour vivre pleinement épanouie.

Et la morale donc ? Le premier mari étant mort, il ne s’agit pas d’un adultère, et ce texte n’en fait certainement pas l’apologie. En étant comblée sexuellement par la fougue de Vadinho, elle appréciera d’autant plus sa vie avec Teodoro. Cet état de fait porte une forte dimension symbolique : ce choix nous rappelle qu’il ne faut pas oublier les êtres qu’on a aimés, même si ceux-ci ne sont plus parmi nous. Bien que mariée à un autre homme, Dona Flor a le droit d’aimer encore son premier mari décédé. À l’inverse, se remarier n’est pas un manque de respect envers son défunt époux. C’est simplement une preuve que la vie continue et qu’on peut se remettre même des plus grosses pertes. C’est probablement ce qu’ils aimeraient d’ailleurs : ne pas nous voir nous lamenter sur le passé, mais plutôt profiter de ce qu’on peut encore réaliser. Il y a encore tant à devenir

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Dona Flor à table, d’après Dona Flor et ses deux maris de Jorge Amado, du 20 février au 1er mars 2020 à la salle du Môle.

Adaptation, mise en scène et jeu : Cathy Stalder

Avec Cathy Stalder (jeu), Guido Bologna, Cinzia Corda et Edo Santa (musique)

https://www.facebook.com/events/168048651093411/?active_tab=about

Photos : © Dorothée Thébert Filliger

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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