Les réverbères : arts vivants

Fendre la nuit

Le mouvement, dans Bombyx Mori, ne désigne plus un simple enchaînement. Envisagé comme ensemble composite, il découle des juxtapositions de tissus, de lumières et de sons autour du corps de trois danseurs. Le tout détonne sur fond de soie. C’était à l’ADC du 2 au 4 octobre. 

À l’origine

La performance dirigée par Ola Maciejewska extrait l’origine des processus et la mémoire hors des recueils d’histoire. Empruntant son nom du ver de mûrier – Bombyx Mori -, la pièce retrace le parcours de la soie, se penchant d’abord du côté du ver, qui s’extirpe de sa chrysalide avant de se mouvoir, dans sa forme de lépidoptère, faisant frissonner l’air autour de lui à coups d’ailes ou de tissus noirs si l’on troque le monde naturel contre celui de la scène. Mais Ola Maciejewska ouvre d’autres portes. Elle semble revenir sur l’expression  » être nue comme un ver « , lorsque l’une des danseuses s’avance sur le plateau, seulement chaussée de baskets – elle montre ainsi une fragilité intrinsèque au corps humain sans carapace vestimentaire mais aussi une forme de liberté qui saura envoûter le public ou le désarçonner !

Varier les impressions

De courte durée, Bombyx Mori se révèle être un prolongement absolument incroyable d’autres recherches effectuées par cette chorégraphe polonaise autour de la danse, entre autre : Loïe FULLER: RESEARCH. Loïe Fuller ne cessait de nourrir son public d’ébahissements et de surprises. Dans sa fameuse Serpentine Dance, elle montrait, à la fin du XIXème siècle , tout le pouvoir illusionnel des tissus. Tournoyant alors sur elle-même, les impressions défilaient à toute allure ; une orchidée apparaissait, puis un papillon… La pièce de l’ADC fait donc figure de palimpseste dansant, mettant par contre non le blanc mais le noir au cœur du plateau.

Ecouter son imagination

La pièce, riche en images, simule un rêve éveillé ou prend l’aspect d’une douce insomnie. Les micros suspendus au-dessus du plateau transmettent en direct les sons, les soupirs et râles des danseurs. Il fait d’abord jour et chacun choisit l’habit qui fendra la nuit – une belle robe de soie noire. L’introduction, située au crépuscule, se veut courte, et il faut souligner le rythme soutenu de la performance et mené d’une main de maître. Les trois créatures, deux femmes et un homme, connaissent chacun leur moment de gloire. Ils donnent vie, tour à tour, au tissu dont ils se parent. Si les mouvements sont d’abord calmes et restreints, ils virent aux coups de fouets sur le plateau avant de gagner en amplitude, comme si la bête grandissait. Les yeux s’habituent à la pénombre et guettent, curieux, les gracieux déplacements. En fin de nuit, les bêtes s’assemblent pour dessiner un papillon géant. Le public est happé par la beauté des mouvements, par cet univers onirique impossible à oublier au sortir de la pièce, une fois face aux autres ou à soi.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Bombyx Mori de Ola Maciejewska du 2 au 4 octobre à l’ADC.

Avec : Amaranta Velarde Gonzalez, Maciej Sado, Ola Maciejewska

https://adc-geneve.ch/spectacle/ola-maciejewska/

Photos : © Martin Argyroglo

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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