Les réverbères : arts vivants

Gen Z : les espoirs d’une génération

Du 26 février au 2 mars derniers, la Comédie de Genève devenait lieu de dialogue intergénérationnel, d’échange mais aussi d’espoir. Avec Gen Z – Searching for beauty, le metteur en scène belge Salvatore Calcagno proposait du théâtre documentaire engagé. Puissant.

La « génération Z », vous connaissez ? Ce sont ceux qui sont nés après 1995. Ils sont jeunes, viennent d’accéder à la majorité ou s’y sont déjà frottés depuis quelques petites années… Quels sont leurs rêves, leurs espoirs, leurs colères, leurs réalités ? En tout cas, ils ont des choses à dire : alors, écoutons-les !

Du théâtre documentaire

La scène de la Comédie ressemble à une salle de classe : des chaises placées en cercle, quelques pupitres, un grand écran… et personne. Soudain, un film est projeté. On y voit une des jeunes qui rigolent devant un tableau noir. Puis, une voix s’élève : « Je suis ici pour vous proposer un projet de stage professionnel. » Le but ? Monter une pièce de théâtre qui dira leur génération, la « génération Z », la Gen Z. Oui, ils devront apprendre un texte. Oui, ils seront traités comme des comédiens professionnels, même s’ils sont amateurs. Oui, ils vont devoir s’exposer au regard du public. Mais surtout, surtout, ils vont devoir porter des voix qui ne sont pas toujours les leurs, des voix glanées à travers toute l’Europe et qui racontent cette génération en devenir.

Ce projet, c’est celui que le jeune metteur en scène Salvatore Calcagno a proposé à des étudiant-e-s d’une classe préprofessionnelle du Canton de Genève, appartenant au cursus FO18, qui assure à chacun une formation jusqu’à 18 ans. Un vrai défi ! Entourés de Salvatore Calcagno et de son équipe, les étudiant-e-s genevois racontent, se racontent, mêlent leurs expériences personnelles à celles de jeunes habitant la Belgique, l’Espagne, l’Estonie, la France, la Serbie et le Luxembourg. Où s’arrête le documentaire, où commence le théâtre ? Très vite, la question ne se pose plus : on est happé par des textes rapides, des échanges vivant qui ressemblent davantage à des débats entre pairs du même âge qu’à des répliques destinées à être prononcées sur scène. On se coupe la parole, on se moque, on se vexe, on argumente, on est d’accord (ou pas), on se livre – mais surtout, on décrit les vérités multiples d’une génération, la sienne.

Espérance actives et revendications concrètes

Filles et garçons, ils sont donc réunis dans un espace rappelant tour à tour la salle de classe, l’agora, le lieu de sit-in ou le local associatif. Dans cet espace de parole décomplexée, ils osent. Ils dialoguent entre eux ou avec le public ; ils cherchent des solutions, proposent des réponses. Tout commence avec une question : si vous pouviez changer quelque chose à l’école, ce serait quoi ? Loin de se lancer dans la diatribe vexatoire ou le réquisitoire stérile, la « génération Z » s’empare du sujet avec justesse, pour pointer du doigt ce qui, dans le système actuel, ne leur parle plus : « L’école devrait construire des gens, pas des employés. », « L’école, ça n’a rien à voir avec la vie ! ». Pouvoir être eux-mêmes, pouvoir se réunir autour de projets éducatifs, pouvoir être pris au sérieux, pouvoir parler de leur vie quotidienne, de politique, de sexualité, de ce qu’ils sont et non pas uniquement de ce qu’on voudrait leur inculquer à tout prix… il y a peut-être là des idées pour repenser totalement le système éducatif – sans faire table rase du passé, mais en l’adaptant au monde d’aujourd’hui.

Les sujets s’enchaînent, glissant apparemment au hasard d’une discussion à bâtons rompus. Tout y passe : le sur-chauffage des salles de classe en hiver (très peu écolo et obligeant ouvrir les fenêtres en décembre…), le genre, l’homosexualité, les petits plaisirs des moments présents, le rêve de célébrité, les relations amoureuses, le métier idéal, les rapports de stage, les réseaux sociaux… Il serait difficile de résumer la direction que prend Gen Z – Searching for beauty, tant tout va vite, tant tout s’enchaîne avec bonne humeur et facilité. Ils sont en recherche de beauté – mais pas de beauté conventionnelle, plutôt de la beauté qu’ils peuvent construire eux-mêmes et avec laquelle ils pourront réinventer le monde. Ce qu’ils aimeraient ? « Travailler dans un endroit où ça fait sens. » « Ne pas travailler pour quelqu’un, mais avec quelqu’un. » « Chercher qui on est, ce qu’on peut apporter d’autre… créer sa propre chance ! » Ces aspirations toutes simples, si elles peuvent paraître évidentes (voire stéréotypées) à certains, ont le mérite d’être authentiques. Ils disent tout haut ce que d’autres générations pensent probablement tout bas. Qu’ils soient de Genève ou de Belgrade, de Tallinn ou de Marseille, d’Avignon ou de Madrid, ils ont tous quelque chose à dire.

Trois moments forts, pour finir ?

  1. La prestation d’une jeune show-girl espagnol, héritière des drag-queen qui se sont battues pour avoir le droit de s’habiller en femme : rencontrée par Salvatore Calcagno lors de ses voyages à travers l’Europe, elle prend vie sur scène, jouée par une des jeunes femmes de la troupe. Chant, gestuelle, expression : tout était là.
  2. Les interactions avec le public, composé en grande majorité de classes du Secondaire I et II, le soir où j’ai été voir Gen Z. Des spectateurs si « à fond », c’est vraiment rare !
  3. Mais surtout, surtout, cette image que je cite de mémoire : J’ai lu quelque part que, quand on dessine un cercle autour de plusieurs fourmis, la plupart des fourmis restent enfermées dedans. Elles n’osent pas traverser la ligne dessinée. Alors qu’en fait, la ligne n’est pas un obstacle.

La force de Gen Z – Searching for beauty est justement celle-ci : vouloir s’affranchir des lignes imposées, pour réinventer le monde et se réinventer soi-même. Bravo.

Magali Bossi

Infos pratiques :

Gen Z – Seaching for beauty, à la Comédie de Genève du 26 février au 2 mars 2019.

Mise en scène : Salvatore Calcagno

Avec Egon Di Mateo, Emilie Flamant, Manon Joannoteguy, Antoine Neufmars Bibiloni, Pauline Guigou, Desmet, Raphaëlle Corbisier, Sophia Leboutte et les élèves d’une classe genevoise choisie par le metteur en scène.

https://www.comedie.ch/fr/gen-z

Photo : ©Magali Dougados

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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