Georges Clooney ou Brad Pitt

Qu’est-ce qui trotte dans la tête de ses amis lorsqu’ils décident A ou B ? Qu’importe. Deux amis enchaînent les questions à choix restreint et rendent hommage à la spontanéité. Ce sera A ou B et n’oublie pas : These Are My Principles … if you don’t like them I have others. Performance de Phil Hayes au Théâtre Saint-Gervais du 22 au 25 novembre 2018.  

Un regard complice, une blague bien placée ou toute preuve que l’on vibre sur la même longueur d’onde… : L’amitié naît parfois de ces petites lueurs venant frapper l’étroitesse d’esprit ou une pensée en solitaire. Et quand l’autre se réclame d’une valeur différente de la vôtre, à quoi bon tergiverser, la condamner même ? Phil Hayes et Nada Gambier, à l’allure rockeuse décontractée, sont de ceux qui, d’un clin d’œil, vous entraînent dans leur ronde et vous prémâchent la réponse : acquiescer et rebondir.

Gravitant autour des platines, ils choisissent, à tour de rôle, le vinyle qui nous poussera à la chansonnette ou au dandinement discret sur fond de velours rouge. Beaucoup d’espace, un rideau de paillette coruscant, des adresses au public et des taquineries à l’anglaise – et ce, en anglais ! -, ce lieu met définitivement à l’aise. Les deux amis, épaulé d’un troisième, Christophe Jaquet, disent avoir tablé sur la simplicité du show par l’entremise de choix radicaux – l’intuition était juste et déploie son pouvoir au cours de la pièce.

La règle est simple et tranche avec les couleurs berceuses typiques d’un vendredi soir (ou d’un samedi soir ?) organisé autour d’un concert live. On lirait presque No Enter sur ce panneau à l’avant-scène, mais il s’agit d’un No Requests tout aussi acéré, signifiant qu’il faudra taire nos réactions et nos poussées interprétatives du moment. Manière de dire que Phil et Nada se prêtent au jeu à condition que l’on témoigne d’une résistance voire d’une bravoure hors-du-commun pour ne pas intervenir dans leurs échanges en ricochets. Leur jeu ? Une succession d’interrogations de type : « Optes-tu pour… mes cheveux ou tes cheveux ? Roger Federer pour le Crédit suisse ou Georges Clooney pour Nescafé ? »

C’est un peu comme si le hasard accouchait de choix binaires et qu’il fallait y trouver son compte, malgré tout, pour avancer, obsédé par ce ou, ayant gommé sur son passage toute existence d’un et.

Parce que tout n’est pas le résultat d’une longue interprétation, l’honneur est aussi à la spontanéité des choix des deux amis. Des réponses étonnent – comme ce jour – et il n’est jamais très loin – où Nada, armée d’un couteau tranchant, pourrait préférer un détour rapide à la vue d’un animal agonisant – mais elles ne vexent pas. Le show convoque d’ailleurs la force obsédante des images lorsqu’on en vient à ces mini-histoires abracadabrantes où l’on se demande bien ce que l’on aurait choisi et notre compagne de soirée aussi ! Des corps aux débats politiques, en ciblant bien sûr la famille et le goût vestimentaire comme nids de l’identité, les deux performeurs font sauter leurs pensées, l’une appelant l’autre comme sur un trampoline. Le public, libéré de l’agenda et du regard extérieur, est sciemment appelé à décider spontanément. Et ce n’est pas un chiasme. Ni pédagogie ni lourdeur  – et on retrouve en cela la trempe musicale de Phil Hayes – la durée brève de la performance est bien adaptée aux échanges. Décidemment. l’improvisation, à l’origine de la pièce, lui réussit.

Derrière ces phrases lancées sur le modèle du ping-pong, le spectacle questionne l’arbitraire permanent des choix personnels et moraux. Parfois contradictoires, ils montrent notre bonne faiblesse à ne pas pouvoir être toujours auréolé de cohérence. Quand les choix déchirent les liens, pourquoi ne pas se souvenir de cette performance à deux, cet instant de poésie tissé d’humour et de jeux d’associations ? C’est aussi ça, la légèreté.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

These Are My Principles … if you don’t like them I have others de Phil Hayes au Théâtre Saint-Gervais du 22 au 25 novembre 2018.

Mise en scène : Phil Hayes

Avec Phil Hayes et Nada Gambier

Photos : © Niklaus Spoerri