Les réverbères : arts vivants

« La vida es una mierda »

Ce week-end, le POCHE/GVE accueille deux comédiennes et un comédien du Théâtre national du Mexique, pour interpréter Bajo el signo de Tespis, une pièce tragique, mais pourtant drôle et véhiculant un message d’espoir, dans une mise en scène de Mathieu Bertholet.

Sous le signe de Thespis. C’est ainsi que l’on peut traduire le titre ô combien énigmatique de la pièce de José Manuel Hidalgo, jouée en version originale surtitrée. L’auteur, âgé d’à peine 23 ans et déjà primé[1] pour ce texte si fort, livre un portrait poignant et violent d’une réalité que le spectateur genevois ne connaît pas. Dans ce poème dramatique, une jeune femme (Paulina Treviño) prend la parole et raconte son histoire : son père a été poignardé sous ses yeux. Trois semaines après, sa mère officialise sa relation avec son amant et tombe soudainement enceinte de trois mois. La colère et la violence régissent la vie de la jeune femme, qui n’accepte pas sa demi-sœur Judith. Alors, quand sa mère les forcera toutes deux à quitter le domicile familial, peu après la mort du père de Judith, sa devise « La vida es una mierda » ne fera que prendre plus de sens…

Colère et violence sont certainement les maîtres mots de Bajo el signo de Tespis. Thespis est considéré chez les Grecs comme l’inventeur de la tragédie et le premier acteur. Il symbolise ainsi parfaitement la vie de la jeune femme, qui s’apparente à une véritable tragédie, tant les événements négatifs s’enchaînent. Dépeignant une situation qui pourrait être réelle, la pièce met en déroute le spectateur, qui ne sait plus très bien s’il fait face à une pièce de théâtre ou à la réalité. Un peu des deux sans doute. Dès le départ, la jeune femme en veut à sa mère, à l’amant de cette dernière, à sa petite sœur. Elle est enfermée dans sa colère, née de la violence dans laquelle elle a toujours vécu, dans l’ombre de cette petite sœur si jolie, en totale opposition avec elle. Cette jeune femme, elle pourrait être n’importe qui. Alors, quand elle s’exprime, en racontant son parcours, entre monologues et scènes reproduites « en direct », on est pris aux tripes par l’interprétation si puissante et profonde de Paulina Treviño. On l’écoute et on comprend sa détresse, cette violence dans laquelle elle est coincée et de laquelle elle ne trouve pas de moyen de se sortir.

Cette notion d’enfermement est parfaitement retranscrite par la scénographie : sur scène, les trois comédiens se meuvent sur un espace difficile à décrire, trop petit pour eux, dans lequel ils sont pliés, un espace tout entouré de métal. L’enfermement, ce n’est pas seulement celui de la colère et de la violence, il n’est pas seulement physique. C’est aussi celui de l’esprit des personnages, qui s’enferment dans leurs stéréotypes, dans la vision qu’on a d’eux, sans parvenir à en sortir ; un tableau qui peut paraître pessimiste, et qui, s’il est bien loin de notre réalité géographique, démontre pourtant bien l’enfermement dans lequel chacun vit par moments, ne voyant que les côtés négatifs de la vie, cette vie, qui est « una mierda », de la merde, comme le répète si souvent la jeune femme.

Pourtant, au milieu de cette tragédie, on parvient à rire. Par de petites touches comiques dans le texte, dans les choix de mise en scène de Mathieu Bertholet – comme les derniers mots du père (« No mames[2] ») répétés dans une agonie toujours plus exagérée par Misha Arias de la Cantolla – le public parvient à rire. Le « happy end » final, sans le détailler, apporte lui aussi cette note d’optimisme qui semble ne pas pouvoir exister au départ. Si le message véhiculé peut sembler naïf et qu’il aurait pu être amenée de manière moins abrupte et plus subtile, il nous rappelle toutefois que, même si « la vida es una mierda », si le contexte n’est pas facile, si les relations sont parfois compliquées pour diverses raisons, il ne tient qu’à nous de changer cela, par la manière dont nous abordons les choses, dont nous les voyons. À travers la poésie de José Manuel Hidalgo, ce message prend tout son sens, toute sa profondeur, porté par des acteurs brillants.

Si la vie est une pièce de théâtre, l’inverse est aussi vrai. Et, parfois, nous ferions bien de nous en souvenir et de nous en inspirer.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Bajo el signo de Tespis, de José Manuel Hidalgo, traduit par Julie Gilbert, du 20 au 23 septembre 2018 au POCHE/GVE.

Mise en scène : Mathieu Bertholet

Avec Misha Arias de la Cantolla, Octavia Popesku et Paulina Treviño, membres de la Compagnie Nationale de Théâtre du Mexique (CNT)

Photos : © Paulina Chàvez

https://poche—gve.ch/spectacle/bajo-el-signo-de-tespis/

[1] Il a obtenu le prix national mexicain de dramaturgie Manuel Herrera en 2017. [2] Comprenez : « Faut pas déconner ».

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

2 réflexions sur “« La vida es una mierda »

  • Ping : Le gras c’est le goût – La Pépinière

  • Rosa Hidalgo

    Sin duda una obra que lejos del contexto europeo y ubicada en latinoamérica México nos deja reflexionando sobre las formas de ver la vida y que también es un reflejo de la realidad de nuestro país. Sin embargo no perdemos la esperanza que la paz inicie desde el interior del hombre y en una sociedad menos violenta desde la familia y se refleje en la sociedad.
    Gracias por sus comentarios a la obra Bajo el Signo de Tespis.

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