Les réverbères : arts vivants

Le gras c’est le goût

Mère Klotz a honte de son rejeton. Karl dévore et stocke en masse ce que ses doigts en boudin dénichent sur les tables. En pleine adolescence, il s‘intéresse aux filles. C‘est le comble. El funesto destino de Karl Klotz de Lukas Linder, du 26 au 29 septembre au POCHE/GVE.

Place aux teintes mexicaines. Dans le cadre du festival DramaFest, Le Poche accueille les créations d‘Amérique centrale dans un dialogue croisé, c‘est-à-dire une mise en scène suisse pour un texte mexicain et vice-versa. On sera étonné de voir de nouveaux brassages de couleur, du vert pistache, du rose bonbon, du jaune tournesol, le tout peuplé de personnages des plus extravagants et, c‘est en continuant de marcher sur ce fil que l‘on se rend compte que l‘on perd pied : Cette pièce du jeune Lukas Linder de Zürich bouscule nos us et coutumes de public helvète.

La vie de Karl coexiste avec celle d‘un cirque au bord de la faillite dans lequel sont regroupées les sommités du burlesque. La fabuleuse Sandra, fildefériste, négocie chaque soir, à l‘aide de son sourire et de son chignon impeccables, la continuation de son contrat aux côtés de la charmeuse de serpents – aussi ronde que la Terre – et les deux consolent, comme elles le peuvent, leur ami, le clown triste, jamais trop las de réciter des blagues qui décollent à peine. Le ton de la pièce est joyeusement lourd, on n‘y fait pas l‘impasse sur les jeux de saucisses et de bedaine qui sort des pantalons. Cet humour décalé, présenté de surcroît en espagnol, nous brusque en bien. On pourrait faire un parallèle avec le film La danse de la réalité d‘A. Jodorowsky peignant la fresque d’une existence exaltée pour laquelle la frontière entre imaginaire et réalité n‘est finalement plus tellement adéquate.

Karl, tout comme le jeune Alejandro du film, semble être né dans une famille qui n‘était pas prête à le recevoir et le baigner d‘amour.  Il dérange, il est de trop, il prend trop de place et c‘est dans sa gloutonnerie frénétique qu‘il trouve l‘étreinte d‘une mère trop absente. Si la saveur manque, le gras, hé oui, c‘est le goût. Sa mère s‘amourache d‘ailleurs sans peine du psychiatre de la famille, censé aider Karl à passer le cap de l‘adolescence sans trop de fracas.

Le psychiatre, un peu à la manière d‘un quémandeur d‘azur en plein hiver, renifle le sexe et les flirts chez les demoiselles en perte de repères; il déborde. Abusant de la naïveté maternelle, il précipite Karl droit dans le mur et lui dérobe même son amour de jeunesse.

Derrière ce personnage loquace, on reconnaît le penchant du dirlO du POCHE/GVE, souvent prêt à remettre en question le système de santé aux intentions bienfaisantes (voir Luxe, calme, La résistance thermale …). Et l‘on se prend à penser que les bonnes intentions, qu‘elles viennent d‘une mère ou d‘un psy, sont parfois bien éloignées de ce dont on aurait besoin. Prêtons donc une oreille attentive aux Karls qui nous entourent.

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

El funesto destino de Karl Klotz ou Le destin tragique de Karl Klotz, de Lukas Linder, traduit par Mathieu Bertholet, du 26 au 29 septembre au POCHE/GVE.

Mise en scène : Damián Cervantes

Avec Ulises Galván, David Hevia, Diego Jáuregui, Nailea Norvind, Inés Peláez, Maricarmen Ruiz

Photos : © Paulina Chávez

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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