Les réverbères : arts vivants

L’Écho de Vernier : un centenaire qui a du cœur !

À l’heure où le COVID-19 est dans tous les esprits, une troupe de théâtre amateur prouve qu’on peut traverser le temps et et les épidémies avec bonne humeur, sans prendre une ride, ni attraper un rhume : le Théâtre de Vernier fête ses… 100 ans, jusqu’au 22 mars !

Comme tous les printemps, l’école des Ranches accueille le nouveau spectacle du Théâtre de Vernier – de son petit nom, « Écho de Vernier », car il est également le relais de la vie communale. Sauf que cette année, rien n’est vraiment habituel. Pour célébrer comme il se doit son siècle d’existence, l’Écho a misé sur une création drôle, touchante et originale, où convivialité et partage ne sont pas de vains mots. Le public est accueilli dans la buvette. En face des spectateurs, quelques tables, disposées en arc-de-cercle, figurent une scène. Soudain, les néons s’éteignent, les projecteurs s’allument…

100 ans d’histoire(s), entre chansons…

Pour le premier acte de ce spectacle inédit, le Théâtre de Vernier propose une plongée dans le temps. À peine sortis de la Grande Guerre (et de la grippe espagnole), les habitants des communes de Vernier et Meyrin se rassemblent pour former une chorale paroissiale. Des tensions se font bientôt sentir : les Verniolans ne veulent plus faire la route jusqu’à Meyrin, les visées artistiques divergent. Que faire ? Ni une, ni deux, ceux de Vernier claquent la porte et volent de leurs propres ailes : en 1920, ils décident de mêler au chant quelque scénettes théâtrales. L’aventure de l’Écho commence ! Pour la raconter, la troupe actuelle renoue avec ses origines. Alors que, depuis plusieurs décennies, elle s’est tournée exclusivement vers le théâtre, elle retrouve ce qui faisait sa spécificité d’antan : jouer, oui, mais chanter également ! Accompagnés par l’accordéoniste Sylvie Bossi, les comédiens alternent chansons et textes à un rythme effréné. Ils jonglent entre les dialogues et les couplets, se répondent et se coupent dans une succession comique que Molière n’aurait pas dédaignée.

C’est la plume d’Albert Morard, un pilier de l’Écho malheureusement décédé en août 2019, qui donne à voir cette traversée du XXe siècle. La troupe réinterprète de nombreuses chansons – qu’elles soient enfantines (Ah les crocodiles), populaires (Le petit vin blanc), tirées d’opérettes (Les mousquetaires au couvent) ou du répertoire de variété (Le jardin extraordinaire, Dans les bals populaires, De l’autre côté de la rue). S’il est plaisant de retrouver les mélodies familières, le texte déroute : car c’est une série de réécritures habiles que la rime malicieuse d’Albert Morard permet de découvrir. Ainsi, les mots de Piaf ou de Bécaud deviennent ceux de l’Écho – et on se prend à chantonner avec eux, même si les paroles n’ont plus rien à voir avec celles d’origine ! Cette première partie se place donc sous le signe de la camaraderie et du bon enfant, avec un petit quelque chose des Frères Jacques (entre mime et chant) et une pincée de la poésie espiègle de Pierre Perret. Et c’est sur la mélodie des Comédiens d’Aznavour que la troupe emmène son public au sous-sol de l’école des Ranches…

…et théâtre

Pour ce second acte, le public prend place dans le théâtre de Vernier. Pas de trois coups, mais une entrée tonitruante : celle d’un concierge mécontent qui déblatère avec véhémence contre l’inconséquence des acteurs. Le ton est lancé : l’Écho nous propose de plonger dans le monde du théâtre lui-même. L’histoire, aussi simple qu’efficace, tient en quelques mots : pour ses cent ans, une troupe amateur cherche à attirer un grand metteur en scène parisien. Mais quelle pièce lui proposer pour qu’il accepte ? Il faut quelque chose de grandiose, d’impressionnant, de… Chacun y va de son avis – et évidemment, personne n’est d’accord. Ça cancane, ça se vole dans les plumes et le temps tourne, tourne, tourne. Bientôt, le metteur en scène est là. Ciel ! Que faire ?

Ce scénario a trois atouts – tant au niveau du texte que du jeu.

1. Tout d’abord, le spectateur se retrouve face à une mise en abyme de l’Écho lui-même : derrière cette la troupe fictive, composée de comédiennes et comédiens aux caractères bien trempés, derrière les petites chicanes et les grandes joies, on parvient à sentir toute la trame humaine qui donne réellement à l’Écho sa cohésion et sa cohérence. Cette histoire est peut-être leur histoire (ou, du moins, une variante) et on s’y plonge d’autant plus.

2. La fiction permet ensuite à l’Écho de mobiliser un patchwork de scènes, tirées du répertoire varié interprété au fil des années. Pour trouver la pièce parfaite, les personnages rivalisent d’ingéniosité : chacun propose son champion. Qui Jean-Baptiste Poquelin, avec son Malade imaginaire (et l’anthologique scène du poumon !), qui Un mot pour un autre de Tardieu ou Les 12 hommes en colère de Reginald Rose. Les extraits des pièces en lice s’intègrent dans la narration d’ensemble grâce au jeu des lumières : quand l’intrigue bascule dans la pièce d’un autre, quand le théâtre entre dans le théâtre, l’éclairage devient plus intime. Soudain, les attitudes et les voix changent, les corps épousent le caractère des personnages qu’ils incarnent – pour mieux convaincre les autres de choisir CETTE pièce pour le centenaire, et pas une autre. Ce panachage a le mérite de mettre en valeur les talents de chacun – même des plus jeunes, qui s’en tirent admirablement dans une scène romantique de La cerisaie de Tchekhov. Je garderai en souvenir trois moments forts : l’heure du thé dans Arsenic et vieilles dentelles (Joseph Kesselring), la prédation glaçante de Mackie (L’opéra de quat’sous de Brecht) et le chant si prenant de « Molly Malone » (Un otage de Brendan Behan).

3. Enfin, le format choisi par l’Écho permet, sans lourdeur, se mobiliser discrètement un métadiscours théâtral – autrement dit, une réflexion que le théâtre porte sur lui-même. Comment définir une « bonne pièce » ? Par son texte ? Sa forme ? L’audace de son sujet, le nombre de ses personnages ? Par sa mise en scène ? Ou le plaisir que les acteurs ont à la jouer ? Faut-il seulement chercher à définir une « bonne pièce » ?

Au final, l’Écho de Vernier prouve à son public que la meilleure pièce, c’est encore celle qu’on écrit soi-même, à plusieurs et dans l’amitié : la meilleure pièce, c’est celle qui rassemble les gens autour d’une passion commune, qui les fait vibrer d’un commun élan pendant deux heures de représentation. C’est celle qui part d’un cœur/chœur pour résonner dans un autre – en écho.

Magali Bossi

Infos pratiques :

L’Écho se fête… cela 100 ans ! (création collective), du 5 au 22 mars 2020 au Théâtre de Vernier (salle des Ranches).

Mise en scène : Clairmonde Liévaux

Avec Marilou Besson, François Capt, Pierre-Félix Delay, Liliane Douchamps, Pierre-Alain Dubi, Simone Emery, Philippe Flück, Elodie Foggiato, Clairmonde Liévaux, Pablo Marim, Jean-Luc Pellet, Léa Pellet, Joël Petoud, Patricia Picchiottino, Claudette Resin, Marie Sauthier et Nicole Schupbach.

https://www.theatrevernier.ch

Photos : ©Théâtre de Vernier

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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