Les apparences ne sont pas toujours ce qu’elles semblent être

Une énigmatique question, dont la réponse est bien plus complexe qu’il n’y paraît : Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars ?. La réponse est à voir au Théâtre Alchimic jusqu’au 14 novembre.

Un père aux propos misogyne en fin de vie, une fille dure qui s’est créé une carapace au fil des ans, un fiancé pris entre les deux. Voilà le décor de la pièce planté. Mais tout n’est pas si simple. Si le fiancé, Rick (Thomas Diebold) semble un peu perdu entre les deux autres protagonistes, son rôle va revêtir une importance cruciale. Devenant le pont entre eux, il fera tout pour les réconcilier et tenter d’amener leur pardon, avant qu’il ne soit trop tard…

La complexité des rapports humains

Sur la scène, alors que son père arrive, la fille, incarnée par Camille Figuereo, est froide. Lui adressant à peine la parole, elle ne veut pas lui servir à manger, ni à boire, ni l’héberger pour la nuit. Il a une faveur à lui demander : l’aider à mourir, alors qu’il est malade et n’en a plus que pour quelques mois. Elle refuse, la haine étant trop présente. Mais qu’a-t-il donc bien pu se passer entre eux ? On peut croire d’abord que le père l’a abandonnée, ne s’étant jamais vraiment intéressée à elle, préférant son frère, tout simplement parce que c’est un homme. Ceci, on le devine dans les propos misogynes, choquants à l’heure actuelle, qu’il tient : une femme devrait être à la cuisine, la mère doit apporter douceur et compassion, alors que le père est là pour la discipline et la rudesse envers ses enfants. Des phrases toutes faites sur les rapports entre hommes et femmes, il n’a que ça à la bouche. Sans compter ses nombreuses blagues douteuses, éculées au fil des ans. Alors, quand il commence à se lier d’amitié avec Rick, c’est la goutte d’eau…

Mais la réalité est bien plus complexe. Ces seuls éléments ne pourraient suffire à expliquer la haine que la fille éprouve envers son père. Petit à petit, bien aidées par les bouteilles de vin descendues, les langues se délient. On en apprend un peu plus sur leur passé, leurs relations. Le père devient ainsi de plus en plus touchant, impuissant qu’il est face à la situation. La fille n’est pas si innocente qu’elle en a l’air. Tous partagent en réalité un lourd passif. Sans entrer dans les détails, on dire simplement qu’ils souffrent du même trouble. Paraissant d’abord opposés en tous points, on découvre deux personnalités très similaires, deux personnes qui ont manqué d’amour et d’affection et n’ont su réagir que par la violence. Tel père, telle fille, vous avez dit ?

Rick aussi se livre de plus en plus. Personnage mystérieux, qui semble d’abord manquer de profondeur, il raconte petit à petit son passé : comment il a perdu son père en s’en fichant totalement, les problèmes de drogue qu’il a rencontrés… Au final, pour ces trois êtres, c’est la détresse qui prône. Alors que Rick n’a pas eu le temps de pardonner et dire au revoir à son père, il fera tout pour que sa fiancée y parvienne.

Portée par une Camille Figuereo éblouissante dans son rôle, et bien accompagnée par Jacques Michel et Thomas Diebold – que je n’avais vu jusqu’alors que dans des rôles comiques – cette pièce est un petit bijou d’écriture, qui questionne les rapports filiaux, en leur rendant toute leur complexité. Elle nous rappelle que les apparences ne disent pas toujours vrai et qu’il faut souvent creuser un peu plus pour connaître la réalité…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars ? de Carole Thibaut, du 29 octobre au 14 novembre 2019 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Véronique Ros de la Grange

Avec Thomas Diebold, Camille Figuereo et Jacques Michel

https://alchimic.ch/faut-il-laisser-les-vieux-peres-manger-seuls-aux-comptoirs-des-bars/

Photo : © Isabelle Meister