La plume : critiqueLa plume : littérature

Les secrets du Darfour

« Finalement, cet apparent militantisme, que seule la cheffe s’évertuait à démontrer et qui lui permettait de maintenir tout le monde à sa botte, s’effritait lentement. Le masque allait bientôt tomber. » (p. 38)

Tout est parti d’une rencontre au Salon du Livre, en mai dernier. Alors que je feuilletais Mission au Darfour sur le stand des Éditions des Sables, l’auteur, Mathias Deshusses m’a abordé. Nous avons discuté une dizaine de minutes, il m’a parlé de son roman, que j’ai évidemment acheté. Juriste de formation, Mathias Deshusses a collaboré avec diverses ONG durant des voyages qui l’ont mené en France, au Paraguay, au Soudan, au Burkina et au Rwanda, avant d’arriver en Suisse. En 2005, il rejoint un camp de réfugiés au Darfour. Il y restera trois mois. À travers ses photos et ses mots, il témoigne de son expérience dans un livre qui paraît 14 ans plus tard aux Éditions des Sables.

« Le départ avait été quelque chose d’étrange. Ces départs que j’affectionne tant. Devant moi, le néant, ou plutôt un océan de possibilités. L’inconnu, rien d’autre. Mon appréhension se dilue dans les préparatifs, les affaires, les sacs, les formalités, rassurer ma compagne. Je m’occupe plus de la préparer à mon absence que de me préparer à ma nouvelle vie. Mon vol est très tôt, comme pour enfoncer le clou. La dernière soirée est un mélange de tristesse, d’excitation, d’angoisse, d’adrénaline. Le réveil sonne. Impression d’être dans un rêve. Soudain, le regret. Regret de me lancer dans une telle aventure. La fatigue, déjà. Et si je ne sortais pas du lit ? Si je n’y allais pas et reprenais confortablement mes recherches de travail ? » (p. 9)

C’est par ces mots que débute Mission au Darfour. L’appréhension et l’angoisse ressenties ne sont que des signes avant-coureurs des découvertes qui auront lieu sur place. Dans ce roman, Mathias Deshusses s’appuie sur ses constats, son expérience personnelle. Il montre les dessous de l’ONU et des ONG sur place. Sans s’appuyer sur des rapports officiels, simplement par son vécu, il aborde la réalité, sa réalité, celle qu’il voit au quotidien. Les membres des groupes humanitaires ne lient aucun lien avec la population locale, sans raison apparente. Peut-être pour se protéger, en vue du jour où ils devront partir ? S’impliquant plus que nécessaire dans leur travail, comme pour justifier leur présence, les membres des ONG ont quelque chose qui sonne faux pour Mathias Deshusses. Pour preuve, les soirées de débauche, avec de l’alcool importé, alors même que les réfugiés vivent dans des conditions d’hygiène déplorables. Chacun semble pourtant justifier ce besoin de se détendre par le travail effectué chaque jour.

« Je pense à l’idée que je me faisais de l’ONU : les bons. Les méchants, c’était la Banque Mondiale, le FMI : ceux qui ne comprenaient pas les plus pauvres, ceux qui imposaient des solutions pensées par les Chicago Boys, qui étaient grassement payés. […] Sur le fronton : “Pour un monde sans pauvreté”. Ça sonnait faux. Tous ces hommes et toutes ces femmes habillés élégamment, dans cet endroit luxueux. Ces ascenseurs gris métallisé en transparence qui montaient et descendaient en silence. Quelque chose clochait. » (pp. 71-72)

On pourrait le croire confronté à l’horreur du quotidien. Pourtant, ce que montrent les médias n’est pas la réalité. La violence et les conflits, Mathias Deshusses ne les a que très peu vus.

« Ici, ce n’est pas le chaos tel que je l’imaginais : les camps où les enfants gémissent pleurent, souffrent. Encore une fois, les reportages télé m’ont induit en erreur. Ils sont allés chercher la souffrance la plus visible, la plus gratuite. » (p. 41)

Invitant le lecteur à se méfier et à aller voir de ses propres yeux la situation sur place, Mathias Deshusses révèle à quel point les médias manipulent la vérité, en montrant ce qu’ils veulent bien montrer, pour apitoyer l’opinion publique mais également soutenir les ONG. Si l’on ne peut pas douter du bien-fondé de leur présence là-bas, les abus, que ce soit dans l’opulence de leurs moyens ou dans l’état de délabrement des installations sanitaires et autres hôpitaux, ne peuvent que remettre en question la manière dont la question humanitaire est abordée.

Loin d’être un livre coup de poing, Mission au Darfour se contente de raconter une expérience, un vécu – celui de Mathias Deshusses, une quinzaine d’années après. Sans langue de bois, mais sans s’acharner non plus, il rend compte de sa réalité, des dysfonctionnements et de la différence existant entre la vérité et l’image véhiculée en Occident. Mission au Darfour, c’est un livre nécessaire qui ne remet pas en question les bonnes intentions de l’ONU et d’autres organisations, tout à fait louables, mais qui éclaire plutôt les déviances des êtres humains qui les composent. N’oubliant pas d’ajouter une petite patte d’humour, l’auteur désamorce l’horreur en donnant une facette avant tout humaine à son roman. Quoi de plus naturel, finalement ?

Fabien Imhof

Référence :

Mathias Deshusses, Mission au Darfour, Genève, Éditions des Sables, collection « Sablier », 2019, 137 p.

https://www.ed-des-sables.ch/publications.htm#group=group1&title=darfour

https://www.lomography.fr/homes/blondin

Photo : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *