Les réverbères : arts vivants

L’identité par l’uniformité

Tenues du jour et habits de nuits font-ils jeu égal dans la garde-robe de nos identités ? Pas sûr. Une réflexion sur les codes vestimentaires comme deuxième peau, dans Nuit et jour au Théâtre du Galpon, du 4 au 16 décembre.

Si le titre de cette création chorégraphique renvoie à une dimension binaire du monde, le spectacle, pour sa part, dessine un large panel de questions : existe-t-il une origine à l’histoire des liens tissés entre identité et vêtements habilement appariés ? Que cherche-t-on à voiler et dévoiler derrière les formes de nos habits, les combinaisons, les une-pièces ? Pourquoi s’affairer à trouver ce qui va ensemble, à l’image de ces parures animales si harmonieuses dans leurs mélanges issus de l’adaptation évolutive, lorsqu’il s’agit de prouver son humanité ?

Sous ces interrogations que l’on sent poindre en creux, Nathalie Tacchella propose une création puisant à la fois dans la nature – représentée par les corps et les mouvements – et dans la culture qui s’infiltre dans les uniformes et les tenues disco portés par danseurs et danseuses. Un large écran, au fond de la scène, nous replace au cœur d’une grotte, d’un espace fermé et débordant de vie, accompagnant les danseuses et danseurs dans leur reptation vers le centre du plateau. Chaque déplacement est souligné par d’époustouflants jeux de lumière, qui détonnent sur ce plateau vide et soumis au regard de cinq femmes d’âge mûr, comme si elles tournaient les pages d’un livre sur la construction du soi. Et l’on prête le regard aux changements lents de ces êtres.

 

 La troupe est en continuel mouvement, suivant une chorégraphie oscillant entre morcellement et unité. Les voici d’un coup qui s’agitent, tressautent, piétinent le sol à tort et à travers – un clin d’œil à nos vitalités parfois corsetées ! –  pour se retrouver finalement côte à côte, fidèles à des figures de manège. Les danseurs n’hésitent pas à insister sur l’aspect autoritaire de certains vêtements. Ils jouent à merveille avec les codes vestimentaires en reproduisant des mouvements d’équidés – qu’il s’agisse de donner des coups de licols ou de tirer au renard. Les quelques allusions au monde équin, la barre de danse classique ou l’uniforme… manières de dire que l’humain s’est trouvé des cadres pour serrer de près ses élans de liberté quotidiens. Ils sont aussi là pour rappeler que c’est à la fois à travers et contre cet ordre que l’on se construit, que l’identité est synonyme d’uniformité. Et pourtant…

Les cinq femmes, à l’abri de ces tensions, regardent sans être vues, la manière avec laquelle chaque danseur intègre l’uniforme et se débat avec l’ordre imposé. Puis vient l’éclosion des identités, annoncée par des couvre-chefs à l’imprimé animal : tête de cerf, de rhinocéros ou d’élan. Le besoin de retrouver les grands espaces nocturnes devient imminent. Les lumières basculent et l’on se retrouve dans les soirées disco, moments intenses d’échappées lyriques, où les corps valsent, séduisent par leur beauté et leur tonicité. Et nous de rester en stase avec l’immense envie d’évoluer parmi eux, de nous métamorphoser en goûtant aux identités folles de la nuit. Nuit et Jour, c’est un moment poétique pour ceux qui auraient tendance à ranger les habits dans le tiroir poussiéreux de modes harassantes. Mettons le gris de côté…

 Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Nuit et jour au Théâtre du Galpon, du 4 au 16 décembre 2018

Chorégraphie : Nathalie Tacchella en collaboration avec l’équipe artistique

Scénographie : Padrutt Tacchella

Danseuses & danseurs : Marion Baeriswyl, Fabio Bergamaschi, Carl Crochet, Ambre Pini, Diane Senger

Photos : © Aline Zandona

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

Une réflexion sur “L’identité par l’uniformité

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