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L’Ours intérieur : un marathon de 24 heures

En tant qu’artiste, il est devenu compliqué de se démarquer dans une monde qui compte huit milliards de personnes (et autant d’artistes en puissance). Aujourd’hui, c’est le « challenge » qui interpelle ; c’est celui qui relève un défi, c’est celle qui sait où est le rang pour en sortir qui bénéficieront de l’attention médiatique. Mais cela suffit-il ?

Comme à chaque fin de bouquin, je parcours ma bibliothèque qui, je l’avoue, se remplit de plus en plus sans que j’aie fini ce qui la compose déjà ; mais l’autre soir, mes yeux se sont posés sur « ce roman ». À chacun sa bibliothèque, mais nous avons tous « ce roman » que quelqu’un – qui a des goûts souvent fondamentalement différents des nôtres – nous a offert lors d’un Salon du livre, d’un Noël ou de quelque anniversaire. Je ne sais même plus exactement dans quelles circonstances j’ai reçu l’Ours intérieur, mais je suis certain de ne pas l’avoir acheté.

Je l’ai pris dans mes mains et ai fait comme toute personne qui semble s’y connaître ; bien que seul, j’ai froncé les sourcils et ai brassé les pages d’un pouce savant, tel un croupier expérimenté. Cent-cinquante pages environ… au moins,  si ça ne me plaît pas, ce ne sera pas long… de toute façon il faudra bien que je le lise un jour. Sceptique, je l’ai tout de même sorti de son étagère et me suis affalé dans le canapé.

Un « challenge » avant tout

Le sous-titre et le bandeau le proclament : ce roman a été écrit en vingt-quatre heures. C’est intrigant, un peu comme lorsqu’on nous annonce que Perec a écrit un roman sans « e » ou que Queneau a écrit cent cinquante fois la même histoire dans cent cinquante styles différents. Publié en 2015, ce marathon est déjà le cinquième de l’auteur, Nicolas Ancion ; mais comme c’est le premier que j’ai entre les mains, je suis intrigué.

Très vite et malheureusement, dans mon esprit étriqué d’universitaire dopé aux classiques de la littérature, l’ouvrage perd rapidement son caractère « exceptionnel » : un roman qui ne paraît épais que par le grain de papier sur lequel il est imprimé, des chapitres courts, des sauts de page et un interligne énorme… le tout pour former un texte qui s’étend sur une cent-cinquantaine de pages, ce qu’on appellerait le « minimum syndical » pour que l’on considère une « nouvelle » comme un « roman ». L’œuvre, dont on vante plus la performance que la singularité de ce qui la compose, perd un peu de son crédit dès les premières pages, un peu comme si on faisait la publicité d’une marque de pâtes pour leur seul temps de cuisson.

Une déception ?

Vous qui êtes en train de lire cette critique (qui n’en finit pas de commencer) sur le parquet grinçant de la librairie indépendante du coin, vous êtes probablement exaspéré de voir que je n’ai pas encore décidé à votre place si le livre que vous tenez dans votre main gauche vaut les trente francs que vous vous apprêtez à débourser.

S’il ne s’agit effectivement pas d’un Nobel de littérature, il a le mérite d’être intéressant, intriguant et assez frais. Dans une autofiction assumée (le héros est un homme adulte marié habitant en Suisse avec deux enfants en bas âge, tout comme l’auteur de l’ouvrage), le narrateur-héros raconte sa vie et celle de sa famille après que celle-ci a survécu aux attentats de Sousse, en 2015. Une quête initiatique, des chapitres-réflexions sur les mœurs de la société et un ours, une boule de poils imaginaire qui suit Olivier, le narrateur, au fil de son histoire…

Cet ouvrage plaira aux curieux, aux assoiffés de littérature suisse, à un très large public. Un universitaire trop coincé entre ses œillères y verra probablement une grosse nouvelle peu travaillée, mais un amoureux y trouvera largement son compte.

Matthieu Schmidt

Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un séminaire de Bachelor
du Département de langue et littérature françaises modernes (Université de Genève), consacré à l’écriture et animé par Éléonore Devevey.

Référence :

Nicolas Ancion, L’Ours intérieur, Charmey, Les Éditions de l’Hèbe, 2015.

Photo : ©Pexels

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