Le banc : cinéma

Misbehaviour, la révolution féministe est en marche

Avec Misbehaviour (Miss Révolution en français), la réalisatrice britannique Philippa Lowthorpe met en lumière la manifestation féministe qui a perturbé l’élection de Miss Monde 70 et contribua à l’émergence du MLF.

1970, Sally Alexander (Keira Knightley) tente d’intégrer l’University College of London. Elle est en reprise d’études, après une tentative de carrière en tant qu’actrice, un enfant et un divorce ; dans le même temps, l’humoriste Bob Hope participe au réconfort des soldats américains au Vietnam en animant un show où il présente Eva Rueber-Staier, la Miss Monde 69, alors que Sally, donc, défend comme thèse : « Pourquoi toutes nos révolutions ont-elles échoué ? » face à un jury dubitatif composé exclusivement d’hommes.

La structure éclatée de la scène d’exposition montre bien la complexité de la situation sociale, politique, personnelle et professionnelle dans laquelle évoluent les femmes à l’aube de la décennie 70. Misbehaviour est l’histoire de trajectoires, de destins qui se rejoignent. Celui de Sally notamment, d’un engagement social auprès des syndicats pour les droits des travailleuses à l’usine à une forme d’activisme autrement plus radical ; ainsi, elle et ses amies en viennent à fomenter une manifestation lors de l’élection de Miss Monde 70, le 20 novembre à Londres. Il y a d’autres enjeux autrement plus importants, estime Jo l’activiste, mais là, elles vont frapper les consciences bien plus fortement en s’attaquant à un symbole d’instrumentalisation de la femme en objet, via cet événement médiatique extrêmement populaire.

« Tu as beaucoup de chance si tu penses que (ce que nous vivons ici au concours de Miss), c’est être mal traité. » Miss Grenade à Miss Suède

En parallèle du parcours de Sally et de celui de ces « consœurs », il y a les Miss, des femmes nommées uniquement par le pays qu’elles représentent, à la fois objet consentant des humiliations et des fantasmes masculins (la prise des mensurations forcées, le défilé en maillot de bain pour les photos, la pose de dos…), qui n’en sont dupes mais pensent s’en sortir grâce à ce concours. Ainsi, Miss Suède espère-t-elle étudier si elle gagne ; Jennifer Hosten (Gugu Mbatha-Raw) est Miss Grenade, dont les participantes doutent même que ce soit un pays. Alors, imaginez ses chances d’être élue… enfin, le cas de l’Afrique du Sud est autrement plus symbolique. Pays peuplé à 80% de noirs, il présente chaque année une candidate blanche au concours. « Pas cette année » s’enorgueillit Morley, non qu’il soit sensible à l’équité quelle qu’elle soit (homme/femme, noir/blanc), mais par bravoure face à un journaliste réprobateur à ce sujet. En cette année 1970, l’Afrique du Sud présentera donc deux candidates, une Miss Afrique du Sud blanche et une Miss… Afrique-Sud (!) noire[1].

La révolution du titre du film, qui couve dans la société d’alors, se fera à tous les niveaux, en interne avec des participantes usant du système pour une émancipation personnelle ou collective (les petites filles noires vont voir Miss Grenade et, par son exemple, rêver pouvoir s’en sortir) ou en dehors avec ces femmes qui posent les fondements de ce qui deviendra le MLF (Mouvement de libération des femmes), qui réclamera l’égalité salariale, le droit à la contraception et à l’avortement…

Tout est politique

Même si rien n’est simple, y compris pour Sally, entre une mère plutôt traditionnelle, une petite fille qui joue avec sa poupée et rêve de défiler comme une Miss, ou encore un compagnon, prototype de l’homme moderne, compréhensif, qui partage les tâches et… qu’elle malmène. La psychologie n’est pas le fort de la réalisatrice. C’est dommage car les personnages de Sally et Jennifer y auraient gagné en profondeur. Le choix des actrices compense cependant cette faiblesse. Jennifer/Gugu Mbatha-Raw est lumineuse en femme valeureuse qui ne fait de compromis sur rien ; quant à Sally/Keira Knightley, en féministe aveuglée par ses convictions, elle l’est tout autant par le charisme qu’elle dégage et par lequel elle tient véritablement le film.

C’est là, l’autre intérêt du Misbehaviour (avec celui de nous renseigner sur cet épisode peu connu de l’histoire du féminisme), que de mettre en relation des personnes que rien n’aurait dû faire se rencontrer. Sauf une cause et, pour certains, une antinomie commune. Si, parfois, ces rencontres s’avéreront vaines (Bob Hope est-il seulement capable d’évoluer ?), d’autres enrichiront les protagonistes (Jo s’humanisera auprès de Sally, laquelle appréhendera au contact de Jennifer la difficulté non pas seulement d’être femme, mais d’être une femme noire…). En mettant le MLF sous le feu des projecteurs, quelques mois avant la première marche pour les droits des femmes, elles enrichiront également le spectateur qui, à l’issue du film, peut avoir deux attitudes : celle de se dire que ce type de cause valait la peine d’être vécue, ou de penser que 50 ans plus tard, l’inégalité salariale est toujours un vœu pieu.

Bertrand Durovray

Référence :

Misbehaviour (Miss Révolution), drame britannique, irlandais et australien de Philippa Lowthorpe, 1h46, sortie en salles le 14 octobre.
Avec Keira Knightley (Sally Alexander), Gugu Mbatha-Raw (Jennifer Hosten), Jessie Buckley (Jo Robinson), Loreece Harrison (Pearl Jansen), Greg Kinnear (Bob Hope), Rhys Ifans (Eric Morley)…

Photos : © 2020 eOne Germany

[1] Miss South Africa et Miss Africa South deviennent Miss Afrique du Sud et Miss Afrique-Sud en français. Miss Afrique du Sud et Miss Sud-Afrique auraient peut-être été plus pertinent.

Bertrand Durovray

Diplômé en Journalisme et en Littérature moderne et comparée, il a occupé différents postes à responsabilités dans des médias transfrontaliers. Amoureux éperdu de culture (littérature, cinéma, musique), il entend partager ses passions et ses aversions avec les lecteurs de La Pépinière.

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