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Mondes Imaginaires : inspiration musicale (1)

L’association Mondes Imaginaires, fondée en 2019, regroupe trois anciennes étudiantes en Lettres qui, au terme de leurs études, sont arrivées à une constatation : bien souvent (trop souvent), les littératures de l’imaginaire sont décriées et dévalorisées. Pourtant, l’histoire se construit sur un imaginaire, une conscience collective, et une transmission des mythes dits fondateurs. 

Mondes Imaginaires proposent donc des ateliers participatifs et créatifs aux enfants comme aux adultes, afin que les univers fictifs viennent nourrir le quotidien. User du pas de côté qu’offrent des moments de créativité permet d’enrichir la réflexion à travers des points de vue différents et des concepts innovants. Tous les mois, Mondes Imaginaires proposent un atelier d’écriture créative sur un thème différent. Ensemble, nous explorons diverses facettes de l’écriture et de l’imaginaire. Le but est avant tout d’oser écrire, dans un climat de bienveillance, tout en acquérant de la confiance en soi. Chaque thématique est présentée grâce à des ouvrages qui servent de référence (en science-fiction, fantasy ou fantastique), parfois avec un ancrage historique – ce qui permet de stimuler l’imaginaire. Les participants peuvent, s’ils le souhaitent, intégrer des éléments proposés par les animatrices dans leurs écrits. L’atelier se clôt par un partage volontaire des créations. Un seul mot d’ordre : imaginer !

Les textes que vous découvrirez au sein de cette rubrique sont tous issus de ces ateliers. Aujourd’hui, David Weber vous parle… d’écureuil. Bonne lecture !

* * *

Hall of the Mountain King

Ses pas résonnaient dans l’énorme hall, il savait qu’il n’aurait pas dû venir, mais l’énorme bâtisse déserte l’avait trop longtemps nargué. Il s’était juré d’y rentrer un jour. Certes quand ils étaient enfants, Naima, Jules et lui, s’étaient très souvent fait peur en s’en approchant, mais rien que la porte grinçante les effrayait et cela leur suffisait.

Maintenant, Naima et Jules avaient disparu, comme beaucoup des adolescents du coin, et la sinistre demeure le regardait de haut pendant que l’angoisse le rongeait. Il était persuadé que ce n’était pas étranger à cette semi-ruine qui trônait juste au-dessus de leur village. Aucun des aînés ne voulait en parler, pourtant ils devaient bien savoir de quand elle datait, qui l’avait construite ou pour qui. Mais rien à faire, les adultes restaient aussi silencieux que la mystérieuse maison.

Il avait donc pris son sac avec quelques vivres, une corde, une lampe de poche et des piles de rechanges et il avait poussé la porte grinçante. Pour la première fois, il osa poser le pied dans ce gigantesque hall. Il eut une étrange satisfaction teintée d’un petit pincement au cœur en repensant à ses amis. Les arches du hall étaient tellement hautes que la lumière de sa lampe torche ne permettait que d’en deviner les sommets. Il avait l’impression de se retrouver dans une cathédrale cachée et abandonnée. Il préféra suivre le mur de gauche pour ne pas se perdre et trouver ainsi un passage vers une autre pièce qui serait peut-être plus facilement discernable. Son idée paya et il entra dans une sorte de salle à manger, le plafond se trouvait à quatre ou cinq mètres de haut, mais cela paraissait raisonnable en comparaison de l’immensité de la pièce précédente. Par contre, ce qui le paraissait moins était le mobilier : il y avait certes des tables et des chaises, mais des toutes petites comme des énormes. Certaines en bon état malgré le temps et la poussière, et d’autres complètement en charpie.

Il se disait qu’il n’avait rien à faire là, que le manoir n’avait rien à faire dans cette histoire, quand son pied heurta un morceau de bois vermoulu qui alla faucher le pied d’une des tables qui tenait encore miraculeusement debout, créant un vacarme de tous les diables.

Cédant à la panique, il voulut retourner à l’entrée de la pièce, mais se perdit dans le labyrinthe des tables et des chaises et fini dans une grande pièce, une autre pièce. Une sorte d’énorme salon. Des espaces avaient été créés par des panneaux dont il ne restait plus que la structure. Cédant à la curiosité, il vit que presque chaque fauteuil avait son style, que ce soit en bois massif ou alors tout en velours. En se rapprochant du centre de la pièce, il vit que ces espaces étaient agencés en deux colonnes, avec une allée au milieu qui donnait sur un énorme trône. Sans qu’il pût s’en rendre compte, il s’était approché et contemplait ce meuble de pouvoir avec fascination. La structure était en bois massif, mais il y avait un coussin rouge, sur le siège et sur le dossier, qui lui paraissait bien moelleux et confortable. Tellement confortable qu’il se prit à le tâter et à rêver d’y poser son postérieur. En caressant d’un air rêveur les accoudoirs, il y discerna des reliefs. Pointant sa lampe torche dessus, il y vit des figures monstrueuses, pas humaines, des petites au regard dur avec des barbes qui devaient leur arriver jusqu’au bas du torse, des énormes avec des crocs qui ressortaient de leur bouche ou groin ou on ne savait pas trop, et d’autres, par contre plus fins, des visages allongés, ciselés, des yeux en amandes…

N’y tenant plus, il se positionna pour s’assoir sur ce siège fantastique. Il descendit son postérieur, ses mains agrippant les accoudoirs ne sachant pas s’il osait ou pas. Puis il écouta le silence, et se dit que personne ne le saurait, personne à part le silence et lui. Lentement ses coudes descendirent, accompagnant ses fesses, qui frôlèrent d’abord le tissu puis s’y posèrent avec majesté.

Il attendit avec horreur que quelque chose se passe… mais rien, le silence. Il se demanda, en prenant ses aises, comment ce siège pouvait encore être en si bon état. Il était vraiment bien dedans. Il regarda la salle et s’imagina régner sur des populations de grandes et de petites créatures, s’acoquinant avec des demoiselles qui étrangement ressemblait à Naima. Naima ! Bon sang, avait-il oublié sa quête ! Il se releva d’un coup, ou plutôt essaya, car son majestueux postérieur ne se releva pas. Était-ce lui… non, c’était le siège qui l’emprisonnait. Des chuchotements se firent d’abord entendre, puis un brouhaha ponctué de hurlements, chacun des lustres de la salle s’allumèrent un a un le long de l’allée remontant jusqu’au trône, remontant jusqu’à lui. Et il les vit, toutes ses créatures qu’il avait imaginées, elles étaient là devant lui, mais elles ne faisaient pas des courbettes, oh non, une à une elles se tournèrent vers lui alors que le silence reprenait sa place, elles le regardaient l’œil torve, les regards sévères, les crocs menaçants, des halètements rythmait encore l’espace. Quand les bougies du dernier lustre s’enflammèrent, il le vit alors, debout devant lui, celui qui incontestablement était le roi. Grand, humain, la barbe blanche le regard bleu et perçant, des cheveux longs en cascade et une incroyable couronne en or, diamants et saphirs.

Il voulut partir, il voulut fuir, puis il vit pourquoi le peuple de ce château était si mécontent : il les avait interrompus pendant un divertissement ! En effet, au centre de l’allée étaient maintenant visibles deux chevalets où des personnes étaient écartelées. Mais ce n’étaient pas des personnes, c’étaient ses amis ! Il comprit alors où ils étaient passés. Dans un effort de colère et de peur, il poussa encore avec ses mains sur les accoudoirs, et avec ses pieds contre le sol et le siège avaleur le libéra dans un énorme bruit de succion. Il partit à toute vitesse derrière le trône, ne pouvant revenir en arrière, car cela aurait signifié de traverser toute cette foule.

Il entendit alors un rire grave et chaleureux, et des paroles incompréhensibles déclamées sur un ton joyeux auquel répondit une myriade de voix enthousiastes, un son (qu’il s’imagina sorti d’un cor de chasse) résonna… et il entendit ensuite ce qui lui sembla des milliers de pas le poursuivre pendant qu’il enchainait les pièces du manoir qui reprenait vie, en même temps qu’il les découvrait. Il courut encore et encore, de plus en plus vite, il n’aurait jamais pensé pouvoir enchaîner les pas à cette vitesse. Il entendait des rires gutturaux et d’autres, plus flutés, comme une douce mélodie discordante, se rapprocher et venant de toutes parts…

Il arriva ensuite à un couloir en T. Des deux côtés, des silhouettes tordues et dansantes se dessinaient sur les murs, à la lumière des torches parsemant les couloirs. Une seule possibilité : la porte en face de lui. Il appuya sur la poignée, espérant qu’elle s’ouvre et y mit tout son élan. La poignée lui resta entre les doigts, alors qu’il se surprit à voler, la porte menait sur une pièce dévastée qui donnait donc sur le vide… il atterrit brutalement sur de l’herbe sèche.

Il se retourna avec effarement et ne vit qu’une porte en lambeau claquant au vent, donnant sur les ténèbres et le silence.

Jessica Vonlanthen

À lire en écoutant : Hall of the Mountain King de Apocalyptica.

Photo : ©creposucre

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