Les réverbères : arts vivants

Ne jetez pas la pierre au canard

Sur la scène blanche du Grütli, une personne (Nicola Gunn) et un ghetto-blaster se font face et réfléchissent aux actes malsains, comme jeter des cailloux sur un canard. C’est Piece for a person and ghetto blaster, à voir jusqu’au 5 octobre.

Tout part d’une promenade au bord du canal à Gand, en Belgique. Nicola Gunn, chorégraphe, performeuse et plasticienne, y aperçoit un homme en train de jeter des cailloux sur un canard. Un dilemme se pose alors : doit-elle intervenir ou non ? Pendant 70 minutes, sur la scène du Grütli, on assiste aux réflexions qui lui sont passées par la tête, accompagnées de danse et de musique. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ses pensées décollent…

La structure des mouvements face à l’envol de la pensée

Composé de nombreuses digressions, le texte de Nicola Gunn en revient toujours à la question centrale : n’est-ce pas un acte des plus déplorables que de lancer des cailloux sur un canard ? De là, elle embraye sur l’éducation que cet homme peut donner à ses enfants. Leur apprend-il à faire pareil ? Quelles valeurs cela véhicule-t-il ? Mais le questionnement ne s’arrête pas là ! Et si la personne qui l’a vu agissait elle aussi de manière répréhensible ? La chorégraphe choisit alors un exemple simple : une femme qui entretient une relation avec un homme marié. Comment réagirait-elle si l’homme qui jetait des cailloux sur le canard débarquait dans la chambre d’hôtel et tentait de séparer les deux amants en plein acte, avec ses mains sales ?

Ces questionnements, qui foisonnent tout au long de la performance en amènent un autre bien plus profond : dans quelle mesure doit-on intervenir lorsqu’on assiste à un acte inconvenant, alors que nous-mêmes ne sommes pas exempts de tout reproche ? C’est peut-être là l’interrogation principale qu’il faut retenir de ce méli-mélo de pensées.

Celui-ci est encadré par des mouvements chorégraphiques qui semblent très précis et contrastent avec la langue qui paraît laisser place au hasard. Les pas s’accordent par moments au propos et au ton de la voix, s’accélérant lorsque celle-ci monte, devenant plus saccadés quand la colère gronde, ou moins calculés lors des passages plus drôles. Car l’humour est bien présent aussi dans le spectacle. On pourrait croire à un propos triste et sérieux, hé bien non ! Nicola Gunn parvient à accrocher l’attention du public, jouant avec lui, dans son propos, en le prenant à parti par des jeux de regards, ou en n’hésitant pas à se joindre aux spectateurs, en montant parmi les sièges. C’est bien la première fois que j’assiste à un spectacle dans lequel la performeuse me grimpe littéralement dessus !

Et le canard dans tout cela ?

Après avoir claqué la porte de la salle, trop en colère d’avoir assisté à un acte aussi horrible, Nicola Gunn revient déguisée en canard. Et s’il avait d’autres plans ? S’il avait choisi de migrer vers le Sud pour s’y installer, bâtir une maison et élever des poulets ? L’homme qui lui jette des cailloux y a-t-il pensé ? Après cette réflexion, la fin devient un peu plus abstraite, avec des paroles qui reviennent en boucle et en écho, sur de la musique jouée de plus en plus fort par le ghetto-blaster, et accompagnée de lasers bleus qui projettent des motifs au milieu de la fumée ambiante. Cette fin, qui semble devenir incontrôlable n’est peut-être que l’illustration du monde intérieure de la performeuse et de toutes ces pensées qui s’entremêlent, sans aucun contrôle.

Piece for a person and ghetto blaster, c’est donc une performance hors du commun, inattendue et surprenante, qui emmène le public dans un autre monde. Rassembleuse, elle mérite bien l’ovation qui lui a été rendue !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Piece for a person and ghetto blaster, de Nicola Gunn, du 2 au 5 octobre au Grütli – Centre de production et de diffusion des Arts vivants

Conception, direction, texte et performance : Nicola Gunn

Chorégraphie : Jo Lloyd

https://grutli.ch/spectacle/piece-for-person-and-ghetto-blaster/?ajaxCalendar=1&mo=10&yr=2019

Photos : ©Pier Carthew, Gregory Lorenzutti, Sarah Walker

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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