Les réverbères : arts vivants

Pétrole : Pasolini ou l’éloge de la lenteur

Se perdre dans un espace hors-temps, où corps et glaise se confondent. Entendre indistinctement des mots – bribes de poèmes ou bribes de vie. Pétrole était au Galpon jusqu’au dimanche 26 mai. Une plongée dans l’œuvre et la vie de Pier Paolo Pasolini, avec un spectacle créé par Melissa Cascarino.

Tu pénètres dans un espace sombre. Tu ne sais pas où t’asseoir : les billets ne portent aucun numéro. Tu te prépares à chercher et tu t’arrêtes. Devant toi, il y a un dais, trois faces noires sculptées dans la soie qui tombent du plafond pour former un triangle. Des images noir / blanc y sont projetées, encore indistinctes – paysage, visage, mirage ? Le sein du triangle dissimule un monticule de terre glaise, noire, grasse. Autour de ce rideau à trois faces, une cinquantaine de sièges est disposée en carré. Ainsi, chacun peut voir en étant vu. Et tout commence.

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D’abord, ce sont des sons. Les notes de la basse, graves, rythmées. Puis, le ronronnement presqu’incompréhensible de la voix qui parle. Italien ? Peut-être. Une langue dont tu ne connais que quelques mots, une voix d’homme. Et surtout, le froissement de pas qui glissent derrière ton dos, derrière ton siège, à la limite de ta perception. Ils sont sept, danseuses et danseurs, pantalons noirs et chemises blanches, à évoluer dans les longs couloirs qui se découpent entre le carré des sièges et les murs de la salle. Ils marchent. Ils glissent. Dans un sens, puis l’autre.

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Pétrole est une œuvre qui ne se laisse pas facilement appréhender. Polyphonique, elle mêle enregistrements d’époque (actualités, voix de Pasolini) et d’aujourd’hui (lecture lente, éclats de rire), musique (battements de la basse, craquements, guitares, mélodies complexes à comprendre), lumière (projetées sur les dais, pendant du plafond) et corporalité (mouvements répétés, pas de deux, enlacements, danse souffrante qui se fracasse dans la glaise). Comment s’y retrouver ? Tu ne connais pas Pasolini – ou alors, juste son nom, Pier Paolo Pasolini, et sa nationalité, italien. Tu ne sais pas qu’il a été une figure intellectuelle de la contestation de gauche, dans l’Italie de l’après-guerre, qu’il a dénoncé la société bourgeoise et capitaliste. Qu’il a été assassiné en 1975.

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Devant toi, Pétrole déplie la vie d’un homme que tu ne connais pas et dont tu finis par saisir des morceaux qui s’assemblent dans un puzzle instable. Tu ne comprends pas tout – et alors ? Ce qui te frappe, surtout, c’est le paradoxe qui fait vibrer tout la pièce : la lenteur apparente, les mouvements retenus et contenus, l’attention apportée à chaque pied qui se pose, à chaque doigt qui se déplie… une lenteur qui fait monter des fourmis d’impatience dans les membres, un bourdonnement sourd au bas de la nuque. Et puis, soudain, une explosion d’énergie : ils courent, ils s’élancent, ils crient, martèlent le sol de leur poing, s’élancent contre la glaise, frappent, frappent. Frappent. Et frappent encore.

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En ressortant, qu’emportes-tu de Pasolini ? Presque rien – une vibration qui te tend, comme la corde d’un arc.

Magali Bossi

Infos pratiques :

Pétrole d’après Pier Paolo Pasolini, du 21 avril au 26 mai au Théâtre du Galpon.

Conception, chorégraphie et scénographie : Melissa Cascarino

Avec : Pascal Gravat, Mehdi Duman, Arantxa Lecumberri, Noémi Alberganti, Fabienne Keller, Olivia Ortega, Melissa Cascarino

Photos : ©Elisa Murcia Artengo

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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