Les réverbères : arts vivants

Pour une sensation du temps

L’œuvre de Proust, qu’elle vous soit familière ou encore inéprouvée, fait parler le temps. Donnez-lui carte blanche pour qu’un tissu soyeux d’impressions vous cajole – grâce à la voix et la prestance d’Yves-Noël Genod dans La Recherche du 14 au 16 février 2019, au Théâtre Saint-Gervais.

Proust, si l’on pose un regard hâtif sur ses lecteurs et lectrices habituels, semble attirer plutôt les chats de salon et autres amateurs de littérature poétique. Ses phrases, telles des promesses d’éternité, rendent compte du monde intérieur du narrateur, ou de l’auteur parfois ; elles nous empoignent tandis que celui qui les lit à haute voix s’époumone. Là, c’est une autre prestation que propose Genod. Un chouïa provocatrice, lorsqu’il présente le texte proustien comme un animal de cirque qui se rebifferait. Un chouïa amusante, lorsque l’on réalise que Proust, en ajoutant toujours plus d’idées maîtresses à son œuvre, devait en fait la simplifier. Genod est l’expert : il semble avoir dépouillé l’œuvre de ses secrets, émaille sa lecture d’anecdotes, de clins d’œil au public ; il donne l’impression, enfin, de faire partie du processus d’écriture, tant il parvient à faire vibrer le texte, à le faire naître sous nos yeux.

Sa position de maître ne le mène toutefois pas vers des sommets hautains, et tant mieux. Genod assume plus qu’il n’expose son rôle. Il prépare son public, comme si on préparait un athlète à une course longue, il le choie et explique que donner la voix au temps ne pourra être balayé en un temps minime. Il faudra donc éprouver l’œuvre de Proust et ne pas craindre d’être absorbé, avalé par elle. Quelques spectateurs craignent l’emprise et partent au fil de la pièce, dommage. Vous manquez le passage dans l’autre univers, là où tout est arborescence.

Si Proust mène le bal des mots, Genod et son équipe mènent celui des lumières. Il y a, après tout, très peu d’éléments sur scène pour esquisser les différents passages d’À la recherche du temps perdu, et ce vide fractionné par une valse des éclairages est époustouflant. Quelques volutes de fumée presque scintillantes percent, de temps à autre, l’obscurité ; s’ensuit un balayage de toute la pièce comme pour dénicher l’idée à venir, qu’une prochaine phrase dévoilera. Genod, dans son ensemble satiné et rouge craquant, détone dans ce milieu agreste, dans lequel repose, comme abandonnés, un canapé et un lustre des temps anciens. On devine d’ailleurs ses relations avec la danse contact, donnant l’impression que le danseur s’épanche dans son environnement, poussé par une fluidité sans pareil. Le comédien confère ainsi, par ses mouvements et les intonations de sa voix, de la souplesse au texte. Proust n’est donc plus serti dans un parc doré, réservé aux aficionados, mais bien mis à disposition de tous ceux qui seront prêts à accueillir ce texte et sa forme nouvelle.

Et l’audace d’Yves-Noël Genod ? Oser insuffler au texte de Proust un nouvel élan, en proposant Rihanna comme fond sonore. Si, si, ça marche et on adhère.

LaureElie Hoegen

Infos pratiques :

La Recherche de Yves-Noël Genod du 14 au 16 février 2019 au Théâtre Saint-Gervais.

Mise en scène : Yves-Noël Genod

https://saintgervais.ch/spectacle/la-recherche/

http://ledispariteur.blogspot.com

Photos : © César Vayssié

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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