Les réverbères : arts vivants

Quand les corps font barrage, à l’ADC, 2019-2020

La danse en tant qu’association de mouvements, souvent fluides, parfois saccadés ou totalement en décalage, a le privilège de donner au corps un pouvoir bien particulier. Pensé dans l’espace, il peut aussi se poser comme obstacle et briser des perspectives. À expérimenter à l’ADC[1], pour cette nouvelle saison.

Ce week-end, les mots tambours de Patti Smith, Grace Jones et Rit Nzele, ceux qui frappent et ne quittent plus nos têtes, secouaient la salle des Eaux-Vives dans la performance #PUNK 100% POP  *N!GGA de Nora Chipaumire. À ses réflexions sur l’esthétique africaine, viennent s’ajouter des interrogations autour du corps – féminin ou non – , des possibilités artistiques de brasser les genres et les origines. Le danseur jamaïcain Shamar Wayne Watt appuyait les criées puissantes de la performeuse. Un début plutôt inoubliable !

Pour qui court après des fins mix de musique électronique, scénographie très moderne et balais de lumières, il y aura les Shadowpieces 0 – IV de Cindy Van Acker, fondatrice de la compagnie genevoise Greffe en 2002. Composées de cinq soli d’abord, suivis de six de plus d’ici mai, ils s’apparentent à une structure d’échafaudage donnant forme, à l’automne 2020 à Without References. Leur particularité ? Une création commune avec chacun des interprètes, sans cadre préalable. Les soli témoignent donc de dynamismes et de sensibilités propres aux danseurs – un motto crucial en faveur de l’écoute de son corps et d’une gestion à sa façon. Du 3 au 5 septembre.

 

Du 2 au 4 octobre, les tissus feront belle figure. La danseuse polonaise Ola Maciejewska, de blanc et de soie vêtue ranime la danse flamboyante de Loïe Fuller, qui marqua à jamais les fidèles esprits de la danse moderne. En 1892, au Park Theater Brooklyn de New York, Fuller interprète une femme sous hypnose, tournoie alors dans sa longue chemise de soie blanche et esquisse, par ses grands mouvements, des formes colorées tirant sur le papillon ou des fleurs… Elle impressionne, désarçonne. À la recherche de l’origine du mouvement, Ola Maciejewska sera accompagnée par deux danseuses en robe noire. Il s’agit, dans le domaine des impressions et des images, de deviner d’où proviendraient les mouvements. Mais Bombyx Mori est bien plus qu’une quête.

 

Yasmine Hugonnet, couronnée par le Prix suisse de danse en 2017, présente son troisième spectacle de danse sonore  Chro no lo gi cal du 9 au 12 octobre. Au cœur de son travail trône le temps. La danseuse observe ce qui, dans l’ombre, rythme la durée d’un spectacle. La danseuse entourée de deux autres curieuses corporelles, fait parler le corps – de pauses en souffles, par des expressions travaillées, des postures intriguantes. La chorégraphie émanera des corps.

 

Lovers, dogs and Rainbows est l’œuvre multidisciplinaire de Rudi van der Merwe, présentée du 16 au 19 octobre. Le titre l’amorce déjà… il sera question de pouvoir, de ceux et celles qui prennent le dessus, qu’il s’agisse d’une fin de conte, de genre, d’ethnies. Nourri par un détour artistique dans sa ville natale de Calvinia (Afrique du Sud), Rudi van der Merwe raconte l’histoire de la Belle au bois dormant de concert avec la performeuse queer sud-africaine Oyama Mbopa. Un mélange de souvenirs et d’interrogations bien ancrées dans le présent.

 

Du 30 octobre au 3 novembre, Ruth Childs présente Fantasia, un retour sur les mélodies qui rythmèrent son enfance. Dans ce premier solo, la performeuse introduit, dans un univers jusqu’alors familier et organisé, des gestes nouveaux, spontanés, témoignant de son évolution à travers le temps. Le titre nous rappellera aussi de beaux souvenirs musicaux…

BSTRD tire un trait sur les musiques et autres évènements qui tournent en boucle. Du 6 au 10 novembre, l’ADC accueille Katerina Andreou, engagée à couler dans le métal froid de la scène, sa vision active de la culture house. En quête d’original, après une licence de droit, la danseuse veut créer ses propres codes. On a hâte !

Marlene Monteiro Freitas a su attirer les regards par son extravagance. Mais, c’est-à-dire ? Dans de marfim e carne – as estátuas também sofrem, la chorégraphe et danseuse cap-verdienne agite les poussières des grands classiques et nous fait ouvrir grands les cils : quatre danseurs et trois musiciens entraînés dans un bal de couleurs, de masques, de formes effrayantes et hybrides. Ce sera du 28 au 30 novembre et gare à celles et ceux qui ne seraient pas prêts à accueillir autant d’intensité !

Les enfants seront (spectateurs) rois dans Forever les 7, 8 et 11 décembre. Ils tâtonnent, se promènent dans les premiers champs fleuris de la vie et savent déjà qu’après tout ça … hé bien… C’est ici qu’intervient Tabea Martin. L’artiste présentera ce spectacle, dont les fils rouges s’inspirent de jeux et d’ateliers des enfants de 8 à 12 ans.

Le 13 décembre, début d’hiver littéraire. L’ADC ouvrira ses portes pour le vernissage du livre “Composition” qui donnera suite aux Jeux chorégraphiques de Laurent Pichaud et Rémy Héritier. Jeux de devinette et d’adresse car il faudra reconnaitre ce que des experts de la danse imitent, esquissent ou écrivent !

L’année à l’ADC reprendra dans une forme formidable puisqu’elle saluera, en première mondiale, la pièce Aberration d’Emmanuel Eggermont du 15 au 19 janvier. L’obscur régnait dans Pólis mais il tire sa révérence face à la lumière explosive du blanc. Elle éveille et efface simultanément. Eggermont donnera forme aux perturbations qui opèrent dans l’espace public. Voir différemment, pour voir plus clair, peut-être.

S’en suivra Strange Fruit du 22 au 26 janvier, une mise en scène de la danse comme bouclier à la violence. Le mouvement se substitue aux mots et s’étire au-delà des heurts, des blessures. Emmanuel Eggermont repeuple notre imaginaire autour du mot « violence » et nous l’attendons, rayonnants des premières pensées de l’année.

Trois corps qui dansent composent la Fresque de Simone Aubert et Stéphanie Bayle présentée à l’ADC, dans le cadre du festival Antigel du 22 au 26 janvier. Cette performance réunit une musicienne, adepte des sons expérimentaux (Simone Aubert) et la danseuse, Stéphanie Bayle, interprète de plusieurs compagnies suisses. Le croisement des arts promet !

Dans la poursuite d’Antigel, Rafaële Giovanola proposera du 13 au 15 février une revisite des danses urbaines. Ici, break et krumping seront féminines et rappelleront les battles du Bronx – tandis que la salle devant Vis Motrix bourdonnera.

16 danseurs de trois générations différentes entreront sur la scène du BFM, du 21 au 23 février, sous la houlette d’ Anne Teresa De Keersmaeker, accompagnée de la violoniste Amandine Beyer et du Rosas & B’Rock Orchestra. The Six Brandenburg Concertos est une pièce pour les aficionados de Bach – et tous ceux qui aimeraient s’y aventurer. En marche, pour Bach.

 

Antonia Baehr est chorégraphe berlinoise et aspire à diverses compilations, avant tout celle des arts. Tant les lettres, que la poésie et les postures, vous retrouverez de tout dans Abecedarium Bestiarium ! Elle y propose, comme elle les nomme des Portraits of affinities in animal metaphors. Ses amis reçurent comme mission d’écrire de brèves missives au sujet d’un animal disparu, le A, puis le B … L’extinction des espèces n’est pas seulement utilisée à but poétique, ô non ! L’artiste sait susciter les braises réactionnaires. Du 26 au 28 février !

Le partenariat tissé entre Contrechamps – Ensemble de musique contemporaine de Genève et Maud Blandel, feat. Maya Masse, accouche de Création 2020. Au Bach hivernal succède le Mozart printanier avec ses divertimentos. Dans la pièce : des pépites musicales qui percutent, couplées de la danseuse Maya Masse guidée par le maître mot de la chorégraphe : burlesque. Les lois gravité/apesanteur ou économie/morale s’en verront bousculées, voire inversées. Comment interpréter une création quand l’apesanteur est mis à bas ? Du 18 au 22 mars.

Cosima Grand réanime le Winterreise de Schubert, dans Hitchhiking through Winterland en balayant délicatement la touche sombre du morceau. Puis, elle fait place au road-trip musical. Être en chemin, porté par l’imprévisible magique de l’auto-stop ou scié par la crainte de ne pas être lâché au bon endroit, voici les cibles de cette danse. Du 1er au 4 avril.

CANON AND ON AND ON…, une grande interrogation sur les injonctions morales en vogue fera guise de clôture de saison. La pièce de Mark Lorimer, du 22 au 26 avril, est audacieuse. Après avoir invité huit danseurs, avec lesquels il n’avait jamais collaboré, Mark Lorimer leur offre – et aux spectateurs du même coup –  le privilège d’être découvert dans leur individualité, leur force vitale propre. Lorsque la hiérarchie ne fait plus barrage et laisse libre cours au mouvement : l’ADC, en 2019-2020, nous insuffle de l’élan, avant de prendre ses quartiers dans des nouveaux locaux  !

Laure-Elie Hoegen

https://adc-geneve.ch/

Photos : © Xavier Perez (photo inner 1) Martin Argyrogio (photo inner 2), Anne-Laure Lechat (photo inner 3), John Hogg (photo inner 4), Anne van Aershot (photo inner 5 / banner)

[1] ADC : Association de Danse Contemporaine

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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