Les réverbères : arts vivants

Ralentir avant le crash

Et si on ralentissait un peu ? Si tout allait trop vite ? Si on allait trop loin ? Ces questionnements sont ceux, latents, de Viande en boîte de Ferdinand Schmalz, à voir jusqu’au 15 décembre au POCHE/GVE.

Une aire d’autoroute. Rolf, inspecteur des assurances, y fait quelques observations, inquiet du nombre d’accidents constatés sur la section adjacente. Beate, la tenancière, tente de le faire partir, mais rien n’y fait, il veut rester… et va jusqu’à séduire Jayne, ancienne star de la télévision, disparue quelques années auparavant et qui vit là depuis. Quels mystères entourent ce lieu ? Que va-t-il arriver à Rolf ? Qui est cet étrange routier devenu narrateur du drame malgré lui ? Tant de questions auxquels Viande en boîte apporte des réponses plus inattendues les unes que les autres…

Ambiance angoissante

Comme dans un bon film de David Lynch, l’ambiance est mystérieuse, voire angoissante. Tout y contribue. La trame sonore d’abord. Composée de dissonances, bourdonnant tout au long de la pièce, elle tend à installer une atmosphère qui met mal à l’aise. L’effet n’en est qu’augmenté par les comédiens qui deviennent preneurs de sons, attentifs au moindre petit bruit sur la scène. La lumière ensuite. Tamisée, froide, elle est loin des chaleureuses lumières des projecteurs que l’on voit souvent au théâtre. Les personnages, quant à eux, semblent tous cacher quelque chose de malsain. À commencer par ce routier-narrateur, victime d’un accident, qui décrit les événements tout en dansant, comme s’il éprouvait un malin plaisir à assister au tragique spectacle qui se déroule. Beate représente la tenancière du restoroute pas sympathique du tout. L’air blasé par son travail, elle cache en réalité un lourd passé : sa maison au bord du fleuve a été rasée pour y installer l’autoroute. Alors, elle s’est vengée à sa manière. Jayne, ensuite, n’a pas refait surface depuis son accident. Les cicatrices qu’elle arbore ne lui permettront pas de retrouver sa gloire passée. Mais pourquoi reste-t-elle terrée ici, dans une relation qui paraît ambiguë avec Beate ? Enfin, il y a Rolf, cet inspecteur des assurances qui dit être là pour des observations personnelles. Victime des événements, il n’en demeure pas moins étrange, lui qui observe les photos des blessures des victimes après le travail, semblant complètement obsédé par les cicatrices et autres balafres…

Si tout cela contribue à une atmosphère de mal-être, le texte vient couronner le tout. Entre dialogues courts et non-dits, passages parfois un peu décousus dont on peine à comprendre le liant, il installe un suspense qu’on pensait ne retrouver qu’au cinéma ou dans les meilleurs romans d’Agatha Christie. Tout s’éclaire petit à petit, on comprend la trame générale à travers les éléments qui nous sont proposés, pour un résultat qui va au-delà de ce qu’on pouvait imaginer. Le mystère qui entoure cette aire d’autoroute est décidément bien profond.

Pourquoi tout cela ?

Alors, on se demande ce que veut transmettre Ferdinand Schmalz à travers cette fiction. Les dénonciations et questionnements ne sont pas explicites, et c’est pour le mieux. Les éléments sont donnés, au spectateur ensuite d’effectuer le chemin mental qui lui permettra de comprendre tous les enjeux. On peut alors penser à un conte écologique, dénonçant la disparition de la nature au profit de l’autoroute et de l’urbanisation. La réflexion initiale au sujet de ces fruits qu’on va chercher loin, en camion, pour amener un peu d’exotisme dans nos vies, ainsi que la fin, explosive, nous ramènent à ces questions autour de l’environnement.

Mais la réflexion ne s’arrête pas là. Cette autoroute est aussi symbole de notre société, qui veut aller toujours plus vite, toujours plus loin, sans penser aux conséquences. Plus la vitesse est élevée, plus le crash est violent. A-t-on atteint un point de non-retour ? C’est en tout cas une question qu’on est en droit de se poser. Alors, peut-être nous faut-il tenter de ralentir avant le crash, si cela est encore possible…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Viande en boîte, de Ferdinand Schmalz, du 4 octobre au 15 décembre 2019 au POCHE/GVE.

Mise en scène : Jean-Louis Johannides

Avec Angèle Colas, Vincent Coppey, Guillaume Miramond et Léa Pohlhammer

https://poche—gve.ch/spectacle/viande-en-boite/

Photos : © Samuel Rubio

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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