Les réverbères : arts vivants

Réflexions sur le retour à la terre au Grütli

Quoi de plus épineux que parler d’urgence climatique sans que son interlocuteur, ou son public, ne se sente culpabilisé ? Fire of Emotions : Palm Park Ruins, en ce moment au Grütli – centre de production et de diffusion des Arts vivants, réussit cet exploit.

Bien maligne celle qui arrivera à résumer le propos de la performance impressionnante de Pamina de Coulon, Fire of Emotions : Palm Park Ruins, tant le contenu est dense et le rythme de locution ne décélère pas pendant les 75 minutes du spectacle. Comme s’il y avait urgence, urgence de tout dire, d’avertir, de ne rien oublier avant la fin du spectacle. Mais aussi avant la fin de l’Humanité et de son habitat, la Terre. Car c’est bien à la vaste et épineuse question du « dérèglement climatique » (la performeuse préfère maintenant utiliser des mots qui correspondent davantage à la réalité du désastre écologique et parle alors de « terre morte, eau morte ») que s’attèle ce spectacle. Non sans humour, et loin de toute culpabilisation.

Contre l’économie de l’écologie

La performance débute avec des réflexions autour du retour à la terre, idée courante et pratique répandue de nos jours mais qui n’est pas propre à notre époque puisque les hippies, ou d’autres avant eux, y étaient déjà retournés, à la terre. Comme beaucoup de monde, Pamina a pris conscience qu’il était peut-être intéressant de réapprendre à subvenir à son besoin primaire : se nourrir. Elle a donc, elle aussi, retroussé ses manches pour travailler le sol.

Elle explique ce que la culture de la terre peut avoir de déroutant, si les récoltes sont moins bonnes que prévues, qu’avoir un jardin, c’est indéniablement apprendre à être patient et surtout… que c’est un bien trop gros travail pour une personne seule, voire pour une famille seule. Et puis, elle raconte qu’avec le retour à la terre alors qu’on est en pleine « terre morte, eau morte » (en plein réchauffement climatique), il faut peut-être reconsidérer ses objectifs de productivité et ne plus viser la (sur)abondance. Que l’on va devoir apprendre, sans doute, à faire avec moins.

Ces deux éléments, la solidarité attenante au travail de la terre et la modération dans l’attente de rendements escomptés, empêchent le propos écologique exposé de se perdre dans l’écueil de l’individualisme et du capitalisme qui voudrait que l’on cultive beaucoup et pour soi car on en a les moyens – et surtout tant pis pour les autres ! Ainsi, le spectateur suit le cheminement de pensées de Pamina sur l’écologie, et ce cheminement passe nécessairement par la case repenser le système même qui a produit cette terre morte, eau morte pour, si possible, en sortir grâce à plus de solidarité, moins d’excès. Et aussi plus d’humilité car « rien n’est jamais seul.e » : les hommes ont un impact permanent sur leur environnement.

D’une idée à l’autre, la pensée se construit

Par ailleurs, la construction du propos est loin d’être monolithique. En effet, les sujets vont apparemment, du coq à l’âne, illustrant une pensée en construction, qui essaye de se saisir d’un sujet et qui, inlassablement, rebondit dans tous les sens. Ainsi, la réflexion met côte à côte des éléments aussi disparates que la famine en Irlande dans les années 1845-46 et la lutte contre l’enfouissement de déchets nucléaires à Bure au XXIème siècle, faits historiques eux-mêmes mis en tension avec des citations d’autrices comme Virginia Wolf et Rachel Corson, elles-mêmes étudiées à l’aune des interrogations de la performatrice sur le jardin potager ou le problème de la propriété privée.

Cette performance protéiforme, c’est l’antidote à un discours trop rôdé, qui ne laisserait plus de place à l’incertitude, au doute, à la remise en question et au regard de l’autre. C’est ce qui empêche le sujet d’être traité avec condescendance car il reste plein de trous, de questions irrésolues et de points de suspension, dont le spectateur pourra, ou pas, s’emparer.

Et puis, et c’est sans doute le plus important, cette pièce ne nous laisse pas sans issue et sans espoir. Suivre la pensée de la performatrice, butter contre ses inquiétudes, faire un détour par ses joies (celle notamment d’avoir trouvé le moyen de cultiver elle-même son thé) et ses colères, c’est aussi comprendre, dans ce grand chantier du questionnement et des contradictions qui pétrissent l’Homme à l’aube de son extinction, que l’espoir peut se trouver au détour d’un texte (celui de Baptiste Morizot et Nastassja Martin, Retour du temps du mythe), d’un palmier qui survit seul au milieu de nulle part ou d’une performance, à couper le souffle, jouée au Grütli un soir de janvier.

Joséphine le Maire

Infos pratiques :

Fire of Emotions: Palm Park Ruins de Pamela de Coulon, du 22 au 24 janvier et du 29 janvier au 1er février.

Mise en scène et jeu : Pamela de Coulon

https://grutli.ch/spectacle/fire-of-emotions-palm-park-ruins/

Photos : © Dorothée Thébet Filliger

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