Les réverbères : arts vivants

Souvenirs dystopiques d’un homme de 121 ans

Imposture Posthume entraine les spectateurs, au théâtre Saint-Gervais, dans un voyage dont ils ne sortiront pas indemnes. Attachez vos ceintures, Joël Maillard ne vous épargnera aucune turbulence dans cette pièce un peu tragique, futuriste et ironique.

Dans un laboratoire futuriste trainent par-ci par-là quelques ustensiles de chercheur : une éprouvette contenant ce qui semble être un organe, deux sculptures de têtes, massives et plus ou moins bien conservées, un montage de plaques de plastique transparent sur lesquelles un texte est gravé, le tout dans une pénombre baignée de lumière bleue.

Un archéologue des temps futurs explique que lui et ses collègues ont retrouvé des cadavres, des humains morts lors de la dernière « catastrophe globale ». L’un d’eux serre contre lui l’ultime témoignage humain : pendant les dernières heures passées à attendre l’extinction de son espèce, il a relaté ses souvenirs. Cet homme est particulièrement bien conservé, notamment grâce à ses organes non biologiques et non biodégradables. Un peu comme à Pompéi, où les corps nous sont parvenus figés en situation réelle, pris dans la lave dans le feu de l’action. Ainsi, la nature aurait causé la mort et la préservation des habitants de Pompéi, tout comme la technologie aurait engendré l’extinction des humains et leur momification parfaite.

L’archéologue cède rapidement sa place : il laissera parler directement l’homme que l’on vient de découvrir. La technologie permet en effet de matérialiser, de donner vie, au témoignage écrit que l’on a retrouvé.

Discours sur l’homme et l’humanité

La lumière, plus chaleureuse, se fait sur un homme immobile au milieu de la scène. C’est le 1er avril 2099, l’humanité est à deux doigts de s’effondrer, cet homme était écrivain, il s’appelait Joël Maillard, il avait 121 ans et il se souvient…

De l’annonce, faite dans la fin des années 2010, selon laquelle un livre écrit par un algorithme se serait retrouvé en finale d’un prix littéraire ; de sa volonté, par la suite, d’acquérir une intelligence artificielle capable de prédire les événements hautement probables d’un futur plus ou moins proche ; de l’appel aux volontaires pour se faire greffer un nanoprocesseur expérimental dans le cerveau pour enrayer le déclin cognitif ; des conflits entre androïdes et humains…

Ces souvenirs emmènent les spectateurs dans un futur un peu loufoque (encore que l’histoire du livre écrit par l’algorithme est bien réelle), mais posent de véritables questions : quelle place sommes-nous en train d’accorder à ce qu’on appelle l’intelligence artificielle aujourd’hui (mais qui pourrait bien devenir nos médecins, barmans ou aides à domicile, demain) ?

Joël raconte ainsi comment des foules s’étaient soulevées contre un androïde qui avait marqué, pour la première fois, un goal lors d’une compétition internationale de football, face à un gardien humain. Et surtout, quel affront !, lorsque, plein de joie artificielle, il avait célébré ce goal par une danse de la victoire. C’est bien le propre de l’homme et non des machines que de se trémousser pour manifester son contentement après un but.

Alors faut-il ou non distinguer robots et humains ? Question insoluble. Parce que, en 2099, certains humains qui avaient décidé de suivre une psychothérapie avec un androïde accusaient leur psy d’être trop parfait : ils auraient bien aimé un peu plus de naturel, de défauts… d’humanité, en somme ! Rien n’est plus humain que l’imperfection et, pourtant, c’est précisément ce que l’on essaye de chasser à coup de technologies : on tente d’aller contre la déficience du vieillissement, de l’infirmité, contre la défaillance et l’improductivité.

Le futur, à l’image du présent ?

Et alors que les spectateurs sont menés entre futur (raconté par l’archéologue) et passé (raconté par Joël Maillard, l’humain décédé en 2099), on est brusquement ramené au présent, ici à Genève et maintenant en 2019, par Joël Maillard (l’auteur et acteur de la pièce Imposture posthume) lorsque ce dernier allume brusquement toutes les lumières de la salle pour commencer un début de one man show. Il parle de son passé, alors qu’il vivait à la campagne au milieu des vaches. Pendant cet interlude, il n’est plus question de futur dystopique et de science-fiction. C’est un regard, honnête et sarcastique, qu’il pose sur notre monde.

Il parle de technologies que l’on a inventées au gré des millénaires et qui ont permis à l’homme d’avoir du temps libre pour créer, rêver, philosopher, en se détachant de la nécessité de subvenir à ses besoins de chasse, de cueillette et de survie…

Mais aussi, et surtout, il raconte le paradoxe selon lequel les technologies ont amené avec elles le besoin de produire et de consommer tant et plus. Au point que l’homme ne s’en retrouve pas plus libre : il est même asservi par les dogmes et contraintes d’une économie toujours plus vorace. Ainsi, si le futur que Joël Maillard imagine est peu florissant, c’est bien parce que le présent qu’il regarde fait peine à voir. Ou du moins, que ce présent, en l’état, pose plus question qu’il ne donne espoir.

On pourrait trouver peu supportable ce tableau de l’homme et de l’humanité. Mais Joël Maillard teinte son discours d’ironie qui, si elle n’atténue pas le propos, permet au spectateur de rire de son destin tragique.

Joséphine le Maire

Informations pratiques :

Imposture posthume, de Joël Maillard du 9 au 13 avril 2019

Mise en scène : Joël Maillard

Avec Nicole Genovese

https://saintgervais.ch/spectacle/imposture-posthume/

Photos : © Grégory Batardon

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