Tableaux de la vie de couple sur fond d’humour

Acteurs complices, humour grinçant, relation tendue après 17 ans de vie commune, c’est Il n’est jamais trop tard, à voir au P’tit Music Hohl jusqu’au 31 décembre prochain.

Véronique Mattana et Jean-Marc Morel incarnent un couple marié depuis 17 ans, à la vie tout à fait banale : elle, elle adore la culture, la littérature et la musique classique ; lui, il aime le sport, le foot en particulier, et Patrick Sébastien. Les deux étagères en fond de scène témoignent de leur différence : sur l’une, des ouvrages de Zweig, Dostoïevski et autres grands classiques, un disque de Maria Callas ; sur l’autre, un portrait de Cristiano Ronaldo, des trophées… Ce décalage initial ne fait qu’augurer de la suite. Alors qu’ils attendent un couple d’amis pour dîner, les langues vont petit à petit se délier, les secrets ressurgir, le tout dans un texte plein d’humour, brillamment écrit par Thierry Meury.

De l’humour de boulevard

Il n’est jamais trop tard est une pièce de boulevard, avec tous les codes que cela comporte : les personnages sont très typés, voire caricaturaux : Elle est élégante et cultivée tandis qu’il passe sa journée en jogging devant la télé à regarder le sport en buvant des bières. Alors elle boit en cachette pour oublier, pour supporter cette vie devenue trop commune et s’accommoder de ce décalage baillant. C’est de ce décalage que se nourrit l’humour de la pièce : entre les expressions populaires qu’il revisite à sa sauce et l’ironie de Madame face à celles-ci, le cocktail fait mouche. On regrettera peut-être les réactions de madame, qui sonnent parfois un peu faux, comme si elle n’était pas assez blasée, alors qu’à force, elle devrait connaître l’humour et les erreurs de son mari. Les ressorts comiques fonctionnent toutefois très bien, et les deux comédiens parviennent à surprendre le spectateur avec leurs réactions : à la manière d’un ping-pong de répliques, ils réagissent à ce que dit l’autre à travers des apartés, des réflexions bien senties et pleines d’ironies, dans un petit bijou d’écriture.

Une fin pleine de finesse et surprenante

Là où Thierry Meury réalise une véritable performance, c’est dans la chute qu’il propose pour la fin de sa pièce. Sans dévoiler les événements, on notera toutefois qu’il parvient à renverser les codes du théâtre de boulevard, à les bouscules de manière à amener une thématique très actuelle avec beaucoup de finesse, sans la forcer. L’humour d’abord cassant, laisser finalement place à une tendresse inattendue. Les deux personnages gagnent en authenticité, loin des caricatures d’une femme castratrice et d’un homme beauf, comme on les percevait au début de la picèe : ils y apportent une dimension plus touchante. Les comédiens, en laissant l’humour à tout-va de côté, témoignent d’un changement de registre fort appréciable. La complicité n’est pas feinte, et ces deux grands amis en-dehors de la scène confèrent au texte de Thierry Meury une profondeur qui leur est propre.

Un spectacle complet

Il n’est jamais trop tard, c’est donc une pièce humoristique, mais pas que, c’est du théâtre de boulevard, mais pas que. C’est surtout un spectacle qui résonne, porté par deux superbes comédiens, avec des personnages profondément humains, qui se sont lassés de cette vie devenue trop fade et qui tentent d’en sortir avec les moyens du bord. Enfin, c’est un texte qui, s’il reprend les codes du théâtre de boulevard en proposant un humour parfois un peu gras, parvient à surprendre et amener la finesse qu’il fallait pour contrebalancer une vie enkystée dans un quotidien las.

Un grand bravo donc à Thierry Meury pour l’écriture, à Véronique Mattana et Jean-Marc Morel pour la force de leur jeu, et au P’tit Music Hohl pour avoir mis ce spectacle au programme.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Il n’est jamais trop tard, de Thierry Meury, du 7 novembre au 31 décembre au P’tit Music Hohl.

Mise en scène : Thierry Meury

Avec Véronique Mattana et Jean-Marc Morel

http://musichohl.ch/?page_id=18

Photos : © Jean-Paul Levet – Genève