Les réverbères : arts vivants

Thierry Meury en pleine maturité

Conversations après un accouchement de et par Thierry Meuryou les tribulations verbales d’un sale gosse échappé de la cour de récréation du petit Nicolas – Le P’tit Music Hohl – jusqu’au 31 décembre.

Il va de la salle du P’tit Music Hohl comme d’un dessin de Sempé. Un lieu tout en couleurs noyé dans un monde gris où la bagnole a totalement pris le pouvoir. Rideaux rouges, tables rondes, café, vin blanc et scène aux drapés noirs attendent le bonhomme.

 Thierry Meury nous invite dans sa cour de récréation. Il aurait pu avoir sa place dans la bande du petit Nicolas. Un personnage qui parle, qui raconte, se marre tout le temps et surtout, qui fait rigoler tous les copains. Cependant, le petit garçon a grandi, il a remplacé ses culottes courtes et son pull jacquard par un costume noir. Certes, il fait toujours rire, cependant les années – ou une fée, verte de préférence – lui ont donné de l’esprit et un art du jonglage verbal digne des chansonniers. Ici, les copains ne sont pas des « amis », ici on ne taille pas de costards, on égratigne, on préfère les genoux rouges aux coups de poing. La cloche sonne, la récré commence !

Entrée en scène de l’artiste en vociférant sur les cyclistes qui en auront largement leur part. L’homme assume ses coups de gueule et sa persistance dans l’alcoolisme. Qu’importe le titre du spectacle, pourvu qu’on ait l’ivresse ! La capacité que possède Thierry Meury à décrire sur tant d’années et tant de spectacles cette facette de son personnage est exceptionnelle. Il pourrait écrire : « Dictionnaire amoureux de la cuite » chez Plon, et j’en serais le premier lecteur. Ainsi Thierry Meury récite en chœur avec Gabin : « Si quelque chose devait me manquer… c’est l’ivresse ». Un alcoolisme sans nez rouge pour prince du zinc.

Puis il passe sa revue de presse du monde. Curieux, attentif, cinglant et toujours surprenant, il joue avec les noms de famille, le sien, ceux de chez lui, les noms de scène, les tronque, amuse et s’en amuse. Le rythme est soutenu et le restera d’un bout à l’autre du spectacle. C’est vif, dense et parfois tellement que généreusement le comédien laisse, non sans en rire, du temps aux spectateurs afin qu’ils puissent délabyrinther son dernier jeu de mots. Gens du public, ne soyez pas distrait, car il vous en cuirait ! La récréation est courte, il faut en profiter !

Arrive le temps de taper sur le Golgotha, un peu Life of Brian en moins scandaleux, suivit des cinq minutes classiques consacrées aux femmes de manière un peu classique pour un pro de la chose, puis de sacrifier à l’écologie et au catastrophisme contemporain en priant messieurs les combattants de tous bords de ramasser leurs douilles : « Bordel, il y a des sacs pour ça ! » C’est drôle, juste et cruel de réalité. C’est fin, c’est précis, c’est de l’esprit : c’est Meury.

La partie consacrée au trou de serrure arrive. Les polissonneries enfantines consistaient à voir sous les jupes des filles, plus grand, le godemiché rose et brillant s’invite sur scène avec un vibrant hommage du personnage envers l’objet. Il lui oppose une rose rouge. Bien que savoureux, il manque un peu de graveleux utile au rire. Un livre « Monsieur, Madame » pour grands qui aurait mérité d’avoir un peu plus de pages.

La cloche va bientôt sonner. Ça parle cours de français et ses règles folles de grammaires exemples à l’appui : « amour », « délice » et « orgue » qui changent de genre au pluriel suivi de plus virevoltants made in Thierry dont certains demandent là aussi une pause d’esprit. Enfin, une revue pétillante de titres revisités des films old time de Disney façon Martine, évocation d’un temps où la violence et l’obscurité se contentaient de prendre la forme d’une sorcière car Thierry Meury mord souvent, mais jamais il ne flingue.

Noir. La cloche sonne. Les mômes en courant se mettent en rangs. Ils vont entrer en classe. Silence. Seulement, le petit Meury se moque bien des règles de la maîtresse. Alors, sans se soucier des sanctions, il chahute, il raconte encore. Une fin drôle et rigolarde sous forme de quiproquo qui clôt un spectacle de music-hall que Thierry Meury sert avec bonheur. On a fait partie de la bande du petit Nicolas et Thierry nous a bien fait rigoler à la récré.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Conversations après un accouchement, de et avec Thierry Meury, du 16 octobre au 31 décembre 2019 au Ptit Music Hohl.

http://musichohl.ch/?page_id=18

Photo : ©E. Curchod

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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