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Thriller autour d’une utopie médicale

« Il nous faut encore un an pour arriver à la commercialisation du médicament qui va changer le monde ! Jamais plus d’addictions. Nous en aurons fini avec toutes les sortes de drogues, fini avec les pathologies compulsives. » (p. 21)

Onirine, c’est le nom d’un médicament révolutionnaire capable de guérir toutes les addictions et phobies. Drogue, alcool, sexe, jeux d’argent… elles sont nombreuses et dangereuses. Grâce à ce traitement, elles devraient toutes disparaître ! C’est en tout cas l’utopie imaginée par Davide Giglioli, dans ce roman paru en 2019 aux éditions Cousu Mouche. Oui mais voilà, sept ans après le début du traitement, plusieurs patients décèdent curieusement, en se plongeant à l’extrême dans leur addiction. Autour de l’enquêteur Ueli Regli, le mystère règne. Alors, quand Hollywood et la mafia s’en mêlent, tout se complique…

« Mais avec l’Onirine tu peux conduire tes rêves où tu veux : tu as le volant de tes rêves. Et avec une aide psychologique extérieure ciblée sur tes problèmes, tu arrives à les résoudre dans ta tête. Pour toujours. Sans oublier qu’avec Onirine il n’y a pas d’effets indésirables : pas de troubles mentaux, pas de dépression, pas d’angoisses, pas de phobies ni de délires. » (p. 30)

L’idée de départ est particulièrement originale : pouvoir guérir toutes les addictions et phobies du monde. Le début est surprenant, voire décalé : tout commence avec un homme vestiophobe, qui entre dans une banque en portant simplement lunettes et chaussettes… Il veut retirer un million de francs. Puis les chapitres courts s’enchaînent, amenant chacun quelques éléments d’informations décousus qui permettent au lecteur de reconstituer l’étrange univers de ce roman. Les dialogues sont nombreux et présentent divers points de vue, ceux des acteurs qui tournent autour d’Onirine : les chercheurs qui l’ont créé, l’inspecteur qui enquête sur les meurtres, l’industrie d’Hollywood qui s’inquiète des effets du médicament sur le public… Imaginez qu’on puisse contrôler le subconscient, le cinéma ne ferait plus rêver. Pendant la première moitié du roman, tout se construit petit à petit, si bien qu’on ne peut s’empêcher d’avancer pour découvrir la suite. Les personnages sont un peu stéréotypés, à l’image de l’inspecteur grassouillet qui ne pense qu’à manger, ou encore de Don Vito, qui rappelle le parrain Don Corleone… Associés aux nombreuses références sur la Suisse, presque des clichés, on obtient un mélange qui apporte un aspect léger et drôle à Onirine.

« Peut-être que la passion est simplement la joie que nous éprouvons quand nous faisons quelque chose que nous aimons vraiment, qui touche la bonne corde de notre âme et qui nous fait résonner plein de vie ; pas le moyen, mais la conséquence, que nous nous efforçons de voir comme la clé du bonheur, quand elle en est simplement la manifestation. Moi, j’ai seulement la passion de la vie. » (p. 51)

Seulement voilà, alors que l’univers est en place, que l’intrigue se crée et passionne, tout s’accélère. Le coupable est rapidement trouvé. On retrouve bien quelques rebondissements, mais ceux-ci s’enchaînent à un rythme effréné, ne laissant pas au lecteur le temps d’appréhender l’entièreté du contenu riche d’Onirine. Si on devait résumer l’impression laissée par ce roman en quelques mots, on dirait simplement qu’il manque de corps. L’idée est excellente, mais malheureusement pas suffisamment exploitée pour illustrer toutes les dimensions et conséquences que pourrait avoir un tel médicament, s’il venait à être commercialisé.

On ajoutera encore que la fin est quelque peu décevante et attendue. Davide Giglioli dénonce toutefois les travers de la société ultra-libérale, où l’argent règne et fait sa loi. Les pressions exercées par les gouvernements, qui servent les intérêts de leurs grandes entreprises, sont également bien mises en avant. En cela, Onirine apporte une jolie réflexion sur notre société. Si elle aurait pu être poussée plus loin, il n’en demeure pas moins qu’on sort de ce roman rempli d’interrogations et de remises en question sur la façon dont fonctionne notre monde.

Évoquons enfin l’épilogue, hors de la diégèse, drôle et original, qui nous plonge dans une discussion entre un inspecteur de police et les éditeurs du roman, évoquant les meurtres narrés dans ce dernier et le rôle de l’auteur… En guise de conclusion, un léger avant-goût de cette jolie trouvaille :

« Mais l’idée qu’il vivait à Gland et qu’il est, peut-être, impliqué dans ces faits qui se sont passés à Montcuq, Le Fion et Deux-Verges… Désolés, se justifie Michaël, sortant un mouchoir pour se sécher les larmes. » (p. 156)

Fabien Imhof

Référence :

Davide Giglioli, Onirine, Genève, Éditions Cousu Mouche, 158 p.

Photo : © Fabien Imhof

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Une réflexion sur “Thriller autour d’une utopie médicale

  • Davide Giglioli

    Merci Fabien!
    Si “on sort de ce roman rempli d’interrogations et de remises en question sur la façon dont fonctionne notre monde”, alors j’ai touché ma cible.
    À bientôt

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