Les réverbères : arts vivants

Tout à l’envers, pour une société plus égalitaire ?

Un vélo à l’envers sur la scène, un comédien en haut des gradins, le décor de Tout à Verlan est planté : on assistera à un spectacle inattendu, où rien ne sera à l’endroit. Au Grütli jusqu’au 16 juin, dans une mise en scène de Maria Da Silva.

Sur la scène, une femme est en équilibre sur son vélo. Elle a les cheveux courts et porte une salopette. Dans son univers qu’elle a appelé « Tout à Verlan », elle fait tout à l’envers. Et aujourd’hui c’est son anniversaire, car c’est sa fête tous les jours. Ici, elle peut n’en faire qu’à sa tête. Jusqu’à l’arrivée d’un « chacal (c’est une image), vandale en sandales », qui veut tout interdire : tout doit être droit, à l’endroit, sans couleur, sans saveur. On l’aura compris, deux univers vont s’opposer.

Un langage particulier

La première chose qui frappe dans cette pièce, c’est la langue. La comédienne Jessica Arpin parle à l’envers, littéralement. Si bien que d’abord, on ne la comprend pas. Par un intelligent procédé, elle s’enregistre dans un micro, qui repasse ensuite le son à l’envers, pour qu’on comprenne son propos… à l’endroit ! Et puis, petit à petit, on n’en a plus vraiment besoin, on finit par entendre ses mots, à l’aide des gestes, et leur signification nous parvient.

Mais alors que le chacal arrive, le choc est terrible : les deux protagonistes ne se comprennent pas, dans un premier temps. En raison, tout d’abord, de la barrière de la langue, mais également à cause d’un différend d’idées. Les chansons, accompagnées par Tomas Grand et qui restent bien dans la tête, en attestent. Les « tout à l’envers » s’opposent aux « tout à l’endroit », la liberté agit en miroir avec les interdictions. Tout est basé sur un jeu de dualité, mais pas uniquement…

Un propos militant bien amené

On pourrait croire que l’opposition est simple : liberté et interdit, envers contre endroit, une femme contre un homme, les couleurs contre le noir et blanc… Pourtant, petit à petit, la liberté s’insinue dans le chacal. Les petits pois blancs qu’il adore deviennent de plus en plus colorés, il commence à s’amuser… et le public suit. Alors qu’on pourrait apprécier le côté ordré du chacal, on s’attache au personnage de la femme, à ses frasques, à son jeu, à sa joie de vivre communicative. On est aussi impressionné par ses talents de cycliste-équilibriste. En face, la monotonie et l’ennui, le manque de folie lassent vite.

Et puis, l’air de rien, c’est un propos bien plus important qui est amené en filigrane. Les questions de genre se font sentir, de manière extrêmement subtile. On comprend que la femme de Tout à Verlan, qui n’en fait qu’à sa tête, car libre de penser et d’agir comme elle le souhaite, est plus heureuse. Le message qu’elle veut nous transmettre par-là est de ne pas avoir peur de faire ce dont on a envie, qu’il faut se sentir libre, et garder un esprit ouvert. Et là où le spectacle est encore plus fort, c’est dans le renversement : au lieu de lutter pour avoir des conditions égales à celles de l’homme, elle parvient à le faire entrer dans son univers, plus heureux, plus libre, plus coloré. Quelle intelligence !

S’adressant d’abord aux enfants, Tout à Verlan leur propose un modèle différent de celui qu’ils connaissent. Au-delà de l’égalité, c’est la liberté, la possibilité de pouvoir faire ce qu’on veut qui est mise en avant : un garçon veut mettre une robe et jouer à la poupée ? Et alors ? Une fille veut devenir costaude et faire de la mécanique ? Tant mieux, qu’elle le fasse ! Grâce à ces images, et à celles projetées et dessinées en direct sur les rideaux du fond de la scène, l’amalgame entre petits et grands se fait sans à-coups, de manière totalement fluide. Chacun y trouve son compte, avec humour et poésie.

Et si Tout à Verlan était la bonne manière de faire tout à l’endroit ?

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Tout à Verlan, de la Cie Jerrycan, du 5 au 16 juin 2019 au Grütli – Centre de production et de diffusion des Arts vivants.

Mise en scène : Maria Da Silva

Avec Jessica Arpin, Tomas Grand et Jerrycan

https://www.grutli.ch/spectacles/tout_a_verlan

Photos : © Dorothée Thébert-Filliger, Tomas Grand

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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