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Tribute to G. Perec : Le mystère de la dernière pièce

Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !

La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !

Aujourd’hui, Jade Perez vous propose un texte inspiré d’une nouvelle de Georges Perec parue en 1979, dont elle reprend la trame narrative : Le Voyage d’hiver. Perec met en scène un professeur de lettres, Vincent Degraël, qui découvre par hasard un texte fictif intitulé « Le voyage d’hiver ». Ce texte, signé par Hugo Vernier, emprunte des phrases à plusieurs auteurs célèbres du XIXe siècle (Rimbaud, Verlaine, Mallarmé, etc.), mais a été écrit bien avant ! Ces écrivains fameux auraient-ils pillé l’œuvre de Vernier ? Pendant trente ans, Degraël mène l’enquête. En vain. Il finira dans un hôpital psychiatrique…

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Le mystère de la dernière pièce

Cela faisait déjà bien trois ans que mon oncle nous proposait régulièrement, à ma compagne et moi, de venir passer deux semaines des vacances d’été dans sa maison en Écosse au bord de la mer, et il réitérait son invitation chaque année. Ainsi l’été 1998, Pauline et moi avions décidé d’enfin accéder à sa requête et de passer la moitié du mois d’août là-bas. J’avais hésité longuement avant d’accepter, mais j’étais aussi conscient que plus je repoussais ma réponse, plus je faisais perdre patience à mon oncle. Du coup, je rassurai Pauline sur ses doutes et essayai de la convaincre de partir en lui promettant que nous passerions des vacances très agréables. Je compris que ce n’étaient pas seulement ses doutes que je tentais d’apaiser, mais aussi les miens.

Pauline avait beaucoup d’a priori sur mon oncle, dû aux histoires de famille assez fâcheuses que je lui avais racontées. C’est un homme très avare et méfiant, mais par-dessus tout il avait la manie de calculer chaque situation, quelle qu’elle fût, pour en tirer profit, même si cela pouvait nuire à ses proches et à son entourage. De plus, Etienne (mon oncle) trouvait toujours quelque chose à redire sur tout et il exprimait ses opinions de manière très brutale. Je me rappelle d’un Noël, lorsque je n’étais encore qu’un enfant, où mon frère et moi attendions depuis des heures le moment des cadeaux. J’avais trouvé dans la chambre ma mère en train de pleurer et mon père qui la réconfortait. Elle me raconta des années plus tard que le frère de mon père s’était permis plusieurs remarques désobligeantes à son encontre, sur sa cuisine et sur son mariage avec mon père. Elle ne voulut plus jamais le réinviter, quelles que furent les excuses trouvées par mon père pour justifier la conduite de son frère. Il y a quelques années, à la suite de la mort de mon grand-père, des mois de disputes et de négociations s’étaient enchaînés concernant l’héritage. Mon père finit par céder aux caprices d’Etienne, ce qui avait énormément déçu ma mère.

Mais je pensais aussi à la femme d’Etienne, Catherine, qui avait fortement envie de nous voir et se réjouissait à l’idée que l’on passe un moment tous ensemble. Après tout, mes appréhensions ne provenaient que de vieux souvenirs d’enfance et les gens évoluent, parvins-je à me convaincre, ainsi que Pauline. Qui plus est, j’étais curieux de découvrir le petit village écossais qu’habitait depuis quinze ans mon oncle.

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Nous sommes arrivés vers dix-huit heures devant la maison près de la mer. C’était magnifique et je regrettai encore moins mon choix. Pauline était très contente aussi, bien qu’il faisait froid et qu’il y avait beaucoup de brouillard. Cependant, l’air frais nous procurait le plus grand plaisir. Mon oncle et sa femme nous accueillirent chaleureusement et une fois le dîner servi, nous mangeâmes dans la joie et la bonne humeur. À l’heure du « soir » comme il l’appelait, l’heure où l’on termine le repas et où tout le monde boit un thé, Etienne me fit faire le tour de la maison. Elle me plaisait beaucoup, et son grenier me fascinait tellement il était rempli de vieilleries. Dans cette même pièce je découvris une gigantesque bibliothèque, toute poussiéreuse, et dans un coin se cachait une grande malle. J’en étais très interpellé, pourtant je ne lui fis aucune remarque à ce sujet.

Cette malle m’avait intrigué toute la nuit et le lendemain j’en parlai à Pauline. Elle me proposa que l’on retourne ensemble dans le grenier. Nous ouvrîmes l’énorme coffre de bois et découvrîmes ce qui se cachait à l’intérieur : des dizaines de partitions de musique qui avaient l’air de dater d’un temps très ancien. Je n’y connaissais rien en musique, je ne jouais d’aucun instrument, alors je me rappelle avoir ressenti une grande déception. Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais en tout cas j’espérais plus d’émerveillement. En revanche, Pauline semblait très amusée. Elle proposa de les jouer sur le piano qui se trouvait dans un des salons du premier étage de la maison.

Nous ne nous doutions pas un instant de ce que nous allions découvrir. Ce n’était encore qu’un simple jeu à ce moment-là.

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J’étudiai toute la matinée les partitions avec Pauline.  Elles étaient incomplètes, abîmées et jaunies par le temps. Sur l’une d’elle je crus distinguer une signature, mais c’était en fait une date : 1728. Pauline tenta tant bien que mal de déchiffrer les notes de musique pendant de longues heures et commença à les jouer. Au fur et à mesure que j’écoutais la musique, je ne pus m’empêcher de la trouver familière. D’un coup, Pauline s’arrêta de jouer et me regarda dans les yeux, elle paraissait très pâle.  « Ça ne te dit rien ? » me lança-t-elle. J’hochai la tête en signe d’approbation mais je ne sais pas qui ou quoi cet air me rappelait. « Ces parties proviennent du Requiem, la fameuse messe de Mozart, qu’il n’a pas réussi à finir puisqu’il est mort l’année même où il a commencé sa composition ! » C’était impossible, ces partitions dataient du début du XVIIème siècle.

Tout le reste de la journée Pauline et moi avons fouillé le grenier et les ouvrages de mon oncle. Rien ne prouvait l’authenticité de ces partitions de musique, mais elles étaient si bien conservées et protégées… et quel aurait été le but de ces copies ? De plus, elles étaient usées et presque illisibles, ce qui témoignait de leur ancienneté. Je n’avais plus de doute mais le constat de cette enquête était effrayant. Un des plus grands compositeurs de musique en aurait plagié un autre pour créer son requiem ? De plus, agonisant dans son lit de mort ? C’était inconcevable. Pauline me conseilla d’en parler avec mon oncle, pour lui demander où il avait acquis ces partitions. J’avais honte de lui dire que j’avais fouillé dans son grenier sans lui demander sa permission, mais cette affaire était trop importante pour que je n’agisse pas.

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En fin d’après-midi, lorsque nous sommes rentrés d’une balade le long de la plage pour nous changer les idées, mon oncle nous attendait dans le salon, assis sur le fauteuil, un air très sérieux sur le visage. Il avait allumé un feu de cheminée, et les crépitements des flammes restèrent pendant de longues minutes le seul bruit qui résonnait dans la pièce. Puis, il se tourna vers nous, me lançant un regard noir. « Tu dois toujours mettre ton nez dans les affaires qui ne te regardent pas ? C’est plus fort que toi ? » Je compris à l’instant ce qu’il s’apprêtait à faire. Il tenait les partitions de musique dans ses mains et en moins d’un instant, il les jeta dans le feu, malgré le cri aigu de Pauline. Tout ce que nous y avions découvert, toutes nos recherches étaient parties en fumée. C’était dorénavant impossible de prouver quoi que ce soit. Il nous invita à sortir de la pièce et nous demanda de quitter les lieux le soir même.

Depuis ce jour-là, je n’eus plus jamais de nouvelles de mon oncle et de sa femme.

Jade Perez

Ce texte est tiré de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey.

Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.

Photo : ©WikimediaImages

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