Les réverbères : arts vivants

Un royaume de Suède précurseur

Une pièce qui parle de libre arbitre, de pouvoir, d’homosexualité, avec un propos féministe, le tout tiré d’une histoire vraie et sise en plein XVIIème siècle suédois : c’est Christina, the girl king, à voir au Théâtre Alchimic jusqu’au 24 mars prochain.

Christine est reine de Suède (1632-1654). Loin de ce qu’on attend d’elle (qu’elle trouve un roi et fasse la guerre), elle fait venir les plus grands penseurs à sa cour, repousse tous ses prétendants et prône la paix. Pis, dans un royaume entièrement acquis à la cause luthérienne, elle se se convertit au catholicisme. Femme au caractère bien affirmé et en avance sur son temps, elle fascine. Michel Marc Bouchard lui consacre cette pièce, dans un petit bijou d’écriture qui rend un vibrant hommage à cette cheffe d’état ô combien énigmatique.

Libre arbitre et pouvoir

Christine, « roi de Suède », ainsi que le veut son titre officiel, dirige comme elle l’entend. Pressée par sa mère de trouver un homme qui lui donnera un héritier, elle repousse tous ses prétendants, du beau Johann aux airs de Narcisse, en passant par son cousin qui aurait tenté de la violer pendant une tempête, jusqu’à un puissant seigneur italien dont elle ne veut pas. Refusant dans un premier temps de se laisser aller aux sentiments amoureux, elle cherche à les comprendre et à les combattre, faisant même appel au philosophe Descartes.

Et pourtant… c’est finalement la duchesse Ebba Sparre qui la fera succomber ?, dans une scène équivoque. Ne parvenant pas à lui résister, elle lui fera tailler une robe sur mesure avant de s’ébattre sensuellement avec elle ? sur la scène, sans jamais tomber dans la vulgarité. Suivant les enseignements du philosophe, elle suit son « libre arbitre » et finira par renoncer au pouvoir, reniant son père, sa mère, son royaume et même sa foi luthérienne pour se convertir au catholicisme.

À travers cette histoire, c’est la question du féminisme avant l’heure et du libre arbitre qu’aborde la pièce de Michel Marc Bouchard. À l’heure où les questions d’égalité salariale sont sur toutes les lèvres, Christine s’impose – il y a pourtant plus de 3 siècles – comme une figure forte, qui s’affirme et ne se laisse pas dicter ses choix par la tradition ou les codes. Amenant également la question de l’homosexualité, vue à l’époque comme une impardonnable déviance – une opinion encore ancrée aujourd’hui dans certains esprits – Christina the girl king transpose un propos plus que jamais actuel dans un temps passé, faisant réfléchir avec un recul qu’on n’a pas toujours. Ainsi se questionne l’auteur de la pièce : « Fût-elle une grande héroïne des libertés individuelles ou odieuse traîtresse à sa patrie ? ». Tout dépend de quel point de vue on se place. On ne peut en tout cas pas nier son courage, celui d’avoir défendu et assumé ses opinions, pour évoluer vers ce à quoi elle aspire : la liberté avant toute chose.

Une scénographie originale

Le texte de Michel Marc Bouchard est porté par des choix de mise en scène forts de Sandra Amodio. Comme pour remettre en question les codes du théâtre, ainsi que le fait Christine avec les codes sociaux et ceux du pouvoir, les premières scènes se jouent dos au public, dans une obscurité quasi-complète. Le spectateur comprend bien vite que beaucoup de choses seront remises en question. Et cela fonctionne.

Au service de cette mise en scène, on retrouve aussi une belle troupe de comédiennes et comédiens. À commencer par Rebecca Bonvin, qui dégage une telle force et une telle assurance dans son rôle de Christine qu’on comprend bien vite, par son attitude et sa façon d’être, qu’elle sera un personnage affirmé qui ne se laissera pas marcher sur les pieds. Citons aussi Adrien Mani, impeccable dans son rôle narcissique du duc amoureux. Fiona Carroll est troublante en Ebba Sparre, avec sa voix sensuelle et ses attitudes qui ne laissent ni la reine ni la gent masculine de la pièce indifférentes. Le casting est complété à merveille par Dimitri Anzules, qui assume les rôles du conseiller et du cousin à la perfection, bien aidé par Roberto Molo et son Descartes plus vrai que nature, ou encore Susan Espejo, interprétant la duchesse qui, bien malgré elle, séparera Christine de son amante.

Christina, the girl king, c’est donc une pièce très actuelle, malgré son action située dans le passé. La reine Christine est l’image d’un royaume précurseur, qui aborde les questions du rôle de la femme et du libre arbitre avec beaucoup de finesse, grâce au texte subtil de Michel Marc Bouchard. On regrettera toutefois la perte du ton humoristique, très présent au début, et qui parvenait à alléger le propos dramatique de la pièce. Au fil des événements, il s’est toutefois essoufflé et s’est un peu effacé. Si cela n’enlève rien à la qualité des comédien-ne-s, de la mise en scène et du propos nécessaire de la pièce, il aurait pu lui donner encore plus de percussion et fournir aux monologues finaux toute la puissance qu’ils méritent, pour un résultat qui aurait certainement arraché quelques larmes à un public déjà conquis.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Christina, the girl king, de Michel Marc Bouchard, du 5 au 24 mars 2019 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Sandra Amodio

Avec Rebecca Bonvin, Adrien Mani, Fiona Carroll, Dimitri Anzules, Susan Espejo et Roberto Molo.

https://alchimic.ch/christina-the-girl-king/

Photos : © Théâtre Alchimic

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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