Veillée funèbre : le dernier repas de l’Étincelle
Quand je serai en bière, que dira-t-on de moi ? Des gentillesses ? Des horreurs ? Du 22 au 25 mai, le Théâtre de l’Étincelle, à la Maison de Quartier de la Jonction, accueillait Veillée funèbre, un texte décapant de Guy Foissy, dans une mise en scène de Patrick Brunet.
Un cercueil et un macchabée, un cierge et deux rangées de chaises : il n’en faut pas plus pour plonger dans l’ambiance. Un employé des pompes funèbres nous accueille. Quelques phrases d’introduction (savez-vous pourquoi on nous appelle « croque-morts » ?)… et les portes s’ouvrent pour la prochaine veillée.
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Galerie. – C’est un véritable album photos de personnages qui va défiler aux côtés du mort, pour lui un rendre un dernier hommage. En vrac : un officier russe, une voisine africaine, une cousine alcoolique, une intellectuelle guindée, une mamie à l’accent genevois, un rappeur du dimanche avec des problèmes d’intestins, un mafioso et sa fille éplorée… et tant d’autres encore. Chacun a son costume, son accessoire emblématique et même sa musique qui l’identifient immédiatement. Combien sont-ils ? Difficile à dire. Les acteurs changent de tenue en coulisses avec une telle aisance, que la prouesse tient à la fois du transformiste et du caméléon. Un grincement de gonds lancé par la régie rythme les arrivées et les sorties. Les portes ne claquent pas, mais Feydeau n’est pas loin : on entre, on sort, comme dans un moulin.
Cette multiplicité s’explique par le format particulier de la pièce de Guy Foissy. L’idée est simple : dans ce texte de 1990, le dramaturge français propose à son public « mille propos entendus d’un oreille aiguë sur [son] lit de mort »[1]. Mille propos, certes – mais mille propos sans attribution, sans personnage attitré ! Après tout, le mort ne peut pas voir qui les prononce, pas vrai ? Le dispositif laisse donc toute latitude au metteur en scène et aux acteurs pour remplir les vides, pour inventer. Qui prend en charge quelle phrase ? Qui dialogue avec qui ? De quelle façon, avec quels gestes ?
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Caricature. – Patrick Brunet s’empare de cette liberté offerte par Veillée funèbre. Sa troupe, composée d’amateurs chevronnés qu’il a pour élèves depuis de nombreuses années, caricature à l’envi cette galerie éclectique. Les phrases qui s’enchaînent dessinent des scènes d’ambiances différentes, comme autant d’exercices de style. Queneau n’est pas si loin…
Entre deux rires, on savoure les mots, qui déploient les mille facettes de l’humour : face au cercueil, les personnages en deuil sont tendres, acerbes, moqueurs, réalistes, accablés, haineux, critiques… Les piques volent, les vérités font mouche. Le trépassé était ceci, cela – devant la mort, la parole se libère et les « un peu de tenue, bon sang ! » répétés n’empêchent pas les mauvaises langues de s’agiter. Comme les acteurs, on croque avec délectation dans ce texte qui dit tout haut sur les planches ce qui est parfois pensé tout bas dans les enterrements.
De fil en aiguille, les scènes se font plus sombres, comme lorsque les personnages de la veillée, ayant quitté leurs atours pour revêtir costumes et chapeaux noirs, invectivent le cercueil en imaginant ce qu’ils auraient aimé faire subir à ce mort honni, haï. Bien vite, cependant, le franc humour reprend ses droits et c’est avec une belle bande de copains que s’achève la pièce : la veillée s’éternise et ils ont faim. Hé ! mais si on appelait le restaurant du coin ? Allô, le resto ? Qu’est-ce que vous pouvez nous servir, à l’emporter ? Silence. De la viande froide ? Heu… z’avez pas autre chose ? On en redemande !
Magali Bossi
Infos pratiques :
Veillée funèbre de Guy Foissy, au Théâtre de l’Étincelle du 22 au 25 mai 2019.
Mise en scène : Patrick Brunet
Avec Leïla El-Hindi, Mireille Lador, Muriel Magnin, Gabrielle Rossi, Isabelle Sommer, Eric Ansart, Alex Gerenton, Jean-Luc Haugrel et Samir Kasme
Photo : ©Magali Bossi (à partir du flyer original de la pièce)