Le banc : cinéma

Visions du Réel – Atelier critique – Jesa (5)

Aujourd’hui, La Pépinière vous emmène au sein de l’atelier de critiques qu’elle organise pendant le festival Visions du Réel. Les participant-e-s ont visionné un court-métrage intitulé Jesa et se sont livrés à un exercice de critique courte. En voici deux, signées Samuel Harvet et Matthieu Mugnier.

Jesa : Que faire des traditions ?

Jesa est un court-métrage documentaire de 2019 de Kyungwon Song, réalisatrice sud-coréenne travaillant aux États-Unis. On assiste à la cérémonie du jesa, repas consommé en offrande aux ancêtres disparus. Guidée par ses parents en visioconférence, la réalisatrice se filme sous la forme d’une performance, tout en interrogeant le sens de ce rituel.

Une table se remplit sous nos yeux d’alléchantes victuailles. D’invisibles mains allument bougies et encens. Le père indique le protocole à respecter, la mère parle cuisine. Effets du stop-motion : les mains de la cuisinière sont escamotées, les plats trouvent leur place sur la table, les choses semblent suivre leur cours d’elles-mêmes. Chacun joue le rôle que lui a assigné une tradition immémoriale. C’est ce que ce film interroge : quel sens donner aux traditions ?

La fin du film nous révèle la clé de son dispositif : l’écran se divise entre la fille dans son appartement américain anonyme, et son père dans la maison de famille coréenne. Cette scission matérialise le décentrement de la réalisatrice vis-à-vis de la société dont elle est issue. D’une génération à l’autre, d’un continent à l’autre, la transmission des traditions ne va plus de soi. La réalisatrice interroge son rapport à un héritage patriarcal, sans l’assumer ni le renier. Ce faisant, le film nous invite à accomplir le même travail avec nos propres traditions.

Samuel Harvet

Référence :

Kyungwon Song, Jesa, Etats-Unis, Corée du Sud, 2019, 6 minutes

Jesa, rituel aux ancêtres

Dans son court-métrage, Kyungwon Song réussit à nous montrer une cérémonie pratiquée en Corée avec brio. Durant le jesa, l’on rend hommage à ses ancêtres en leur préparant une table remplie d’offrande sous forme de plat dont leur mise en place ne laisse rien au hasard.

La mise en scène est à la fois ludique et créative avec deux types de scènes qui s’alternent. Les premières scènes, filmées en plan fixe, montrent la réalisatrice qui prépare la séance tandis que son père lui donne les instructions et la corrige en voix off. Les deuxièmes sont filmées en stop motion, montrant la cuisine des mets dédiés aux ancêtres tandis que c’est la mère qu’on entend parler. Les légumes se coupent tout seul, les poissons sont écaillés : ce sont ici les plats qui se préparent par eux-mêmes, nous amenant une légèreté contrastant avec les plans fixes. Une fois que tout est prêt et installé, les encens sont allumés, le saké est servi et la prière commence. Le gong retentit et la nourriture est mangée sous nos yeux, nous donnant l’impression que ce sont les esprits qui dégustent ce festin.

Que voit-on dans ce film ? Il montre un contraste intéressant entre le traditionnel et le moderne, entre la cérémonie ancestrale et l’appel téléphonique par ordinateur. On y questionne également un rôle très conservateur de l’homme et de la femme : seul un homme peut mener la cérémonie. Il en résulte que la mère ne croit pas en ce rituel, bien qu’elle y ait toujours participé. Devons-nous honorer nos traditions malgré un manque de conviction ? Devons-nous les ignorer même si cela fait partie de notre culture ? Devons-nous les actualiser et les moderniser (comme l’illustrer avec l’appel vidéo) ? Ce sont des questions parmi tant d’autres que soulève ce court-métrage.

Matthieu Mugnier

Référence :

Jesa, Kyungwon Song, Corée, 6 minutes

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