Les réverbères : arts vivants

Vita Nova ou le trésor de Rackham le Rouge pour universitaire

Vita Nova de et par Romain Daroles – un cours de français intello-burlesque donné par un prof à la Feydeau, parti à la recherche d’un trésor littéraire englouti dans le monde de Roland Barthes – Théâtre Saint-Gervais – 3 octobre 2019.

Une porte s’ouvre telle une porte de classe à la Pagnol. Bruit de bois, bruit de pas, le plancher annonce l’arrivée du prof. La lumière s’allume. Dans la salle de spectacle, tout est fait pour que chacun se fasse une anamnèse universitaire.

Vaste salle de bois ciré avec galerie, hauts vitrages, la salle du Faubourg en impose comme le savoir. La scène, piédestal de la connaissance, balance entre moderne et histoire. Beamer et table de cuisine, ordinateur et bouquins, crayons, souris et micro. Le prof s’installe. Il évolue dans un monde qui paraît aussi encombré et « bordélique » que le bureau de Piaget. Le public redevient étudiant, il semble loucher entre le personnage du prof et la mémoire de ses profs d’antan. Oui, il faut avoir assisté à un cours universitaire pour recevoir pleinement Vita Nova, comme il faut avoir passé ses vacances dans un camping pour posséder la transcendance du film éponyme.

Le phrasé donne le ton du cours. Sur le souffle, parsemé de tics de langage, on sent les « heures de vol » du vieux briscard qui ouvre son cours un peu las, comme un guide de château rendant attentif la foule sur un détail du XIIème. C’est ancien, bien fait, drôle, ça sent le papier, le cuir, les vielles éditions. Les bouquins s’empilent sur le bureau. Sur la scène, imposant, l’écran. Par sa taille, sa place au centre de la scène, c’est un objet hiératique qui impose une mise en scène, la contraint. Le personnage n’a guère le choix, il oscille entre cour et jardin et on perd la profondeur de scène.

Le beamer chauffe, le cours débute, le thème est annoncé : Vita Nova ou le programme radicalement nouveau d’une vie ! Dès la définition donnée, les références tombent. Dante, Pierre Ménard, lecture de texte. Le public entre rires et sourires retrouve les bancs. Et Roland Barthes s’impose comme le héros d’un cours qui prend la voie de la piste policière avec Louis Poirier comme suspect et des pièces à conviction à l’appui. Original vraiment. Il y a du Luchini dans l’admiration que porte le personnage au célèbre sémiologue. « Roland Barthes ! LE Roland Barthes… C’est du lourd ! » S’exclamait Fabrice ! L’avis est ici pleinement partagé. Une référence qui m’a fait sourire.

Puis, le vieux mammifère patauge avec son ordinateur. Il est vraiment à la traîne ! un peu trop. À trop la jouer, la maladresse devient un truc. Les références continuent : Borges, Picasso, Klein, les films de Renoir, elles sont placées face au quotidien et ses ustensiles. Le prof sort sa serviette de table, sa banane. Un demi-cours, je souffle un peu… on pense à Goscinny. Le professeur passe la main à France Culture. Bruit de fond radio-intello, c’est inaudible, une longueur, je décroche.

Le cours reprend au même rythme avec projections mentales d’un amateur d’art sur deux monochromes de Klein. Troisième acte, le personnage s’anime, devient effervescent, le spectacle quitte le chemin cour-jardin, son régime de croisière et le prof descend dans la salle avec comme élément déclencheur la mort stupide de Roland Barthes. Le comédien saisit la salle, l’emporte avec lui, impose l’obscurité et joue avec puissance entre ombre et lumière. « On a retrouvé le Vita Nova de Roland Barthes ! » Le personnage s’enivre de sa découverte, c’est le trésor de Rackham le Rouge pour capitaine universitaire. Il lit : « Tout doit être dit comme un personnage de roman ». Le vieux prof prend feu ! Très beau moment dont j’ai apprécié la puissance et la pétillance.

Puis, le professeur se met à jouer le montreur de marionnettes ou plutôt, il place des personnes du public sur la scène en leur donnant nom ou fonction en lien avec le spectacle. La scène est pleine, la crèche est montée… Comment va-t-il s’en sortir ? Noir et…  Applaudissements heureux. Un choix de mise en scène qui m’étonne. Le « deus ex machina » de fin me laisse sur la mienne.

Un spectacle qui emprunte au monde universitaire, un ton vieux prof interprété par un comédien précis, juste et souriant, ravi et vraiment heureux d’être sur scène. Une heure de promenade réussie dans les souvenirs de fac du public.

                                                                                              Jacques Sallin

Infos pratiques :

Vita Nova, de Romain Daroles, les 3 et 4 octobre à la salle du Faubourg, organisé par le Théâtre Saint-Gervais.

Conception et interprétation : Romain Daroles

https://saintgervais.ch/spectacle/vita-nova/

Photos : © Julien Gremaud

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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