Les réverbères : arts vivants

Dans une odeur de béton

Transitions, de Carole Schafroth, est à découvrir au Théâtre de la Parfumerie, jusqu’au 21 décembre. Quand la peur sur la ville se passe de tags et de chlorophylle.

Dès l’ouverture des portes, l’espace de la scène se propose d’être mobile. Murs de briques et de ciment ainsi que trois très grands panneaux rectangulaires divisent le lieu, telle une exposition de surfaces grises possédant un relief de parois urbaines intactes et contemporains, particulièrement bien réalisées. Odeurs de béton, musique et lumières diffuses. Des phrases projetées sur des façades de briques et deux personnages noyés dans la matière accueillent les spectateurs qui, dès leur arrivée, cherchent, en déambulant entre les murs d’une ville de grande solitude, la convention théâtrale à laquelle ils participent déjà.

« Rien à dire de nouveau, ni de renversant » C’est par cette phrase que le ton du premier acte est donné. S’en suit une évocation citadine des poncifs du catastrophisme ambiant, qui clame que le monde est abimé. Pas simple d’être des solistes dans le vaste chœur des chanteurs du déclin. Un peu de Greta porteuse d’angoisse, un peu de Décadence  d’Onfray, sans oublier les médias et une touche de spinozisme face au choix de nos actes dont nous ignorons les forces qui les composent. Un état des lieux posé avec une certaine pureté, une simplicité sincère dans l’esthétique.

Les panneaux sont déplacés. Ils divisent l’espace scénique d’une autre manière. Deux personnages apparaissent en robes longues couleur argent et pailletées. Ils dansent sur des musiques d’avant-hier. Une chorégraphie fluide et lyrique, qui raconte un monde et son absence de vrais cris ; il n’y a pas de tags sur les murs/panneaux. Les deux femmes continuent de s’interroger en évoquant le « C’était mieux avant » sur des images des années 60-70 ; une époque optimiste. L’heureux retour en arrière comme une balade à la campagne, est mise en doute, on s’en doute. L’idée en soit est assez juste car les plus farouches partisans du bon vieux temps préfèrent tout de même le dentiste du XXIème siècle en lieu est place de l’arracheur de dents. « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas. » écrivait Victor Hugo. L’absence de chlorophylle bavarde sur les murs/panneaux laisser à penser que la nature s’est tue et que l’écrivain n’a pas été entendu.

Puis l’histoire de la faillite de la ville de Detroit, source d’inspiration du spectacle, arrive au-devant de la scène. Cette ville est l’exemple cardinal des effets destructeurs de l’innovation, qui laisse tant de personnes sur le trottoir, comme les métiers à tisser Jacquard ont laissé les canuts de Lyon sur la paille au début du XIXème. La ville de Detroit se relève aujourd’hui comme la capitale des Gaules avant elle, lent retour à la normale symbolisé par une très belle danse aux mouvements lents et souples. L’espoir est évoqué, le texte prononcé dans l’agora manque de provocation. C’est frustrant pour qui veut un peu en découdre.

Les trois panneaux, éternellement gris, s’ouvrent, redivisent. À chaque fois, l’esthétique de l’espace et des lumières affine la narration et dévoile des émotions nouvelles. Une solution attentiste est proposée. Pour ne plus avoir peur, dansons sur de la musique techno, style issu des années 90 et né à Detroit justement. Un mantra lumineux accompagne le dicton salvateur jusqu’à la fin du spectacle où le public est invité à danser lui aussi en attendant la suite des événements.

La vision de Carole Schafroth, citadine et crue, tout à fait moderne et actuelle évoque dans une odeur de béton, un temps passé dont on perd l’utilité et un temps présent figé dans ses peurs par le grand absent de ce spectacle qu’est le temps futur. Ce temps de la découverte et de l’inspiration, qui semble ici déjà condamné à disparaître. La catastrophe, si elle existe, danse avec l’innovation qui certes est destructrice… mais n’est-ce pas dans l’inexorable futur que la résilience forcée trouvera son salut ?

Jacques Sallin

Infos pratiques : Transitions, de Carole Schafroth, du 11 au 21 décembre, au Théâtre de la Parfumerie.

Mise en scène : Carole Schafroth

Avec Carole Shafroth, Marion Thomas

https://www.laparfumerie.ch/evenement/transitions/

Photos : © Valeria Pacchiani

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *