La plume : créationLa plume : littératureRécit participatif n°2 : La Geste d'Avant le Temps

La Geste d’Avant le Temps : épisode 81

Votre salon est trop petit pour vos ambitions ?

Vous rêvez de parcourir des étendues sauvages, des citadelles élancées, de terrasser des dragons, de rencontrer des elfes, de mettre la main sur un trésor… ou d’embarquer sur un bateau pirate ? La Geste d’Avant le Temps est un récit participatif qui veut remédier à l’exiguïté de nos domiciles et rêver d’un autre monde.

La Pépinière a réuni des rédacteurs très différents : amateurs, confirmés, jeunes ou plus âgés, sages, originaux, déjantés, bagarreurs… Ensemble, ils vont vous emmener dans une quête épique, entre fantastique et science-fiction – sur les ailes de leurs imaginations !

Entre le feuilleton et le cadavre exquis, La Geste d’Avant le Temps vous accompagnera chaque jour dans un texte évolutif et des aventures palpitantes. Nous espérons ainsi vous changer les idées, en cette période confinée… Que faire à l’issue du projet ? Lecture publique ? Publication ? Performance ? Nous cherchons encore des idées !

Alors, vous nous suivez ? C’est parti ! Retrouvez le début du feuilleton ICI !

* * *

Épisode 81 : la prophétie d’Eien

Le voyage du retour se fait dans un éclair – la Table de Téléportation étant, décidément, un artéfact bien utile.

À leur retour, ils sont fêtés comme des héros. La Tour des Gardiens du Temps brille de mille feux, plus blanche et élancée que jamais, surplombant le réseau serré des sentiers-miroirs qui file entre les champs de Rizator-III comme une fine toile d’araignée.

À leur retour, ils saluent des gens qu’ils connaissent et qu’ils ne connaissent pas. Le Généralissime, les Premier et Deuxième Lieutenants, les cohortes des Voyageurs Temporels, encore épuisés par leur combat. Elestra se jette dans les bras de son père sans poser une seule question, et Balthazard sourit du sourire de celui qui sait que les explications attendront. Sexte tapote l’épaule d’Angélus, sans le questionner sur la Boule de plumes qui le suit partout.

À leur retour, Euridy donne des ordres et personne ne pose de questions. Nanji, qui a préféré conserver sa forme de colibri-foudre, ne provoque aucune remarque, aucun froncement de sourcils – quand bien même tous ont senti son aura si caractéristique de Mange-Temps. Les guerres ont le don de faire naître des alliances inattendues.

À leur retour, ils dorment durant sept jours d’affilée. Sept est un chiffre important, car il est souvent porteur de création et de renaissance. Pour eux, il est surtout synonyme du repos des corps et de la mise en suspens des ennuis. La fête du couronnement se prépare sans eux et Nanji remet à plus tard le destin de son peuple – il sera bien assez tôt. Hypérion s’endort avec la Néantine : inexplicablement, il se sent mieux lorsqu’elle est à portée de main. L’épée ronronne comme un chat. Dans le lit voisin, Elestra a posé la harpe sous son oreiller. Juste derrière, Angélus ronfle, la bouche ouverte. N°17 est perchée sur une chaise, tout près.

° ° °

Quand ils se réveillent, ils réalisent que l’agitation ambiante est encore plus épuisante que leurs aventures. S’ils pouvaient, ils retourneraient au pays des rêves – mais les obligations sont là et elles les rattrapent. Le Temps n’attend pas.

Quand ils se réveillent, ils ont ensemble des regards qui parlent sans les mots, de ceux qu’on échange après avoir, par exemple, sauvé l’Univers ensemble. Parfois, ils sourient ou éclatent de rire simultanément, sans même s’être adressé la parole. Les mauvais souvenirs s’estompent peu à peu, pour ne laisser que l’exaltation de ce qu’ils ont vécu ensemble. Ils ont gagné.

Quand ils se réveillent, Euridy prend au sérieux ses fonctions de Diacre. La cérémonie de couronnement consacre Elestra comme princesse du Temps et Hypérion comme chevalier. On dirait un conte pour enfants. Angélus et Nanji ne sont pas oubliés ; on les remercie comme les sauveurs qu’ils ont été. Le cou de N°17 s’orne lui aussi d’une médaille. Bien sûr, tous ces titres sont honorifiques : Rizator-III a un système politique complexe et des Gardiens très jaloux de leurs prérogatives, qui ne sauraient s’encombrer d’une vraie monarchie régnante. N’empêche. C’est une belle cérémonie.

° ° °

Après la cérémonie, vient le moment des adieux.

Elestra, Hypérion et Balthazard ont résolu de quitter Rizator-III ; après tout, leur vie n’est pas vraiment ici. Angélus et Sexte ont le cœur serré – mais se consolent avec raison : les liaisons interstellaires ne sont pas si rares et, à présent que la menace des Mange-Temps est écartée, la Gare sera à nouveau accessible comme avant. Rien de plus simple, dès lors, que de jouer de la harpe pour activer un portail, se dit Elestra avec optimisme.

Seule Nanji fait grise-mine. Malgré toute l’aide d’Euridy et des Gardiens, ce qui reste de son peuple n’a pas retrouvé la mémoire. Après avoir libéré les Mange-Temps survivants des capsules temporelles portatives, Nanji espérait les voir recouvrir leurs souvenirs et retrouver leur état normal. Hélas, les Mange-Temps sont demeurés des Mange-Temps : s’ils n’ont plus de rêves de conquête, à présent que celui qu’on nommait Je’An a disparu, ils demeurent des bestioles affamées qui cherchent à grignoter chaque grain de Temps que comportent Rizator-III. Dans ces conditions, les Gardiens ont préféré les laisser dans leurs capsules, pour éviter de nouveaux ennuis. Nanji a accepté, la mort dans l’âme. Les Yûbokujis ne retrouveront jamais leur passé.

Leurs adieux se déroulent dans un endroit atypique. Entassés dans un couloir minuscule où ils se sont tous croisés par hasard, devant une porte rouge fermée, ils se sentent à fois gauches et émus – comme si un trop-plein de sentiments menaçait de les emporter. Ils ne savent pas vraiment quoi se dire, ni comment se le dire, quand bien même ils savent qu’ils se reverront. C’est une certitude. Quand ils ouvrent la bouche, c’est pour tous parler en même temps :

« Je… On… Alors… Comment… C’est… »

Personne ne finit sa phrase, mais tout le monde éclate de rire, car ce moment trahit bien ce qu’ils ressentent tous : cette fois, c’est la fin. Personne ne sait qui a eu cette pensée. Ce qui est sûr, c’est que c’est sur elle que la porte rouge s’ouvre.

° ° °

De l’autre côté de la porte rouge, il y a un bureau d’acajou. Et un grand fauteuil – le genre de fauteuils qu’on verrait, sans doute, dans le bureau ovale d’un président, sur une petite planète de la Voie lactée, au cœur d’un Système qu’on dit « Solaire ». Un peu incertains, ils entrent. Une porte ouverte n’est-elle pas une invitation ? Cinq chaises font face au bureau ; ils s’y assoient, incertains. Ils scrutent la pièce ; elle semble vide. Mais comment en être certain ? Le fauteuil est tourné, dos à eux. L’aventure les a rendus curieux – pas moins prudents.

Un bruit les fait sursauter, entre le toussotement et le bêlement. Du fauteuil s’élève une voix – étrangement familière pour Hypérion :

« Hé bien, vous avez finalement réussi. Je crois que je vous dois une fière chandelle. Sans vous, je serai sans doute définitivement et irrémédiablement morte. Vous vous en êtes très bien tirés, malgré la difficulté de la prophétie. Je sais, je sais… c’était un texte un peu grandiloquent… mais que voulez-vous ? J’ai toujours aimé les énigmes. À présent, je pense que je vous dois des excuses – et des explications. Je n’oublierais pas, non plus, de lever une certaine malédiction que je n’aurais jamais, jamais dû lancer… enfin, on est toujours plus malin après qu’avant, je suppose. La prochaine fois, j’opterai pour des méthodes plus pédagogiques. Avec les enfants, ça semble plus judicieux : si j’avais été moins cassante, toute cette histoire ne serait jamais arrivée. Ce n’est pas parce qu’on crée des êtres doués de libre-arbitre qu’il faut leur en vouloir quand ils s’en servent… »

Le fauteuil ne se retourne toujours pas. La gorge sèche, Hypérion risque la question – dont il connaît, en fait, déjà la réponse :

« Excusez-moi, mais… qui êtes-vous ? »

« Oh », fait la voix avec un petit rire. « C’est pourtant évident, non ? Vous pouvez m’appeler Eien. »

Le fauteuil pivota et Eien croisa deux de ses pattes sur le bureau, tout en rajustant son tailleur rose. En voyant leur expression, elle bêla de rire, amusée :

« Un peu de thé au foin… ? »

Magali Bossi

Photo : ©JennieSR

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Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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