Les réverbères : arts vivants

Un départ lointain depuis son fauteuil

Cette fois, nous n’irons pas les chercher. Mais elles viendront à nous. Les richesses de l’étranger et du terroir genevois sont à saisir tout au long de la nouvelle saison du Théâtre Saint-Gervais, dès le 29 août !

Art sonore, art dansé, filmé ou récité, la directrice Sandrine Kuster et son équipe font part belle au pluridisciplinaire et interrogent, pour une nouvelle année, notre perception des frontières, des limites – de ces catégories qui définissent, encadrent ou enferment. Une réflexion contemporaine pour tous ceux qui, acculés aux douanes multiples, en savent long sur les passages d’une zone à l’autre.

Et puis il y a ces lieux du quotidien, méconnus. Un couloir d’université, un bar, un parc que le Théâtre Saint-Gervais se propose de réinvestir en déplaçant son public. Suivons-les – la curiosité au-delà du quartier procure des sensations surprenantes d’aventure.

Lorsqu’on ne part pas s’exiler sur une île ou à des kilomètres lumières de son domicile – en guise de villégiature régénérante, l’on est bien amené à puiser en soi pour trouver sa propre énergie créatrice, non ? Place aux souvenirs, aux rythmes et aux passions pour votre première sortie en spectateurs : Demolition Party, de Olivia Csiky Trnka et de la compagnie Full PETAL Machine revient sur nos pas à tous et fait ressurgir ce qui nous anime, tous, en secret, depuis toujours. Démolir pour retrouver. Un beau parcours du 29 août au 1er septembre en collaboration avec La Bâtie – Festival de Genève. Pour ce qui touche aux objets du passé, déjà disparus, frôlant les mondes grouillants des oubliettes, mais qui attendent, impatiemment, leur renaissance, voir La Collection du Collectif  BPM du 1 au 13 décembre. C’est un retour à Saint-Gervais que l’on attend avec empressement !

Qui ne sera pas posé la question, ces quelques derniers mois, du lien sous toutes ces coutures ? Lien amical, familial, collégial ou amoureux. Lui qui était au cœur des ménages, tant exalté que menacé par une gravitation conseillée autour du foyer ? Lola Giouse, dans This is not a love song, nous parle de la proximité. Loin d’être innée, elle est une faculté qui se travaille et s’aiguise pour nous préparer à la rencontre avec l’autre. Du 6 au 11 octobre, ce spectacle est un report de la saison 2019-2020 et sera joué sur la terrasse ! Lorsque l’autre ne suffit plus…il y en a encore ! Dans Le sexe, c’est dégoûtant d’Antoine Jaccoud et Matthias Urban, l’on prend part à une soirée pimentée : Deux couples échangistes refont le monde avant l’amour. Puis, l’affiliation, cette fois littéraire, fera l’objet d’interviews en mouvement dans Le Grand Dancing de Virginie Schell et Julien Basler du 4 au 13 décembre.

Pas toujours facile de deviner la beauté dans son quotidien. On aime à se raconter qu’il y a le brouillard, les travaux, le bruit incessant des… STOP. Le monde des courbes, de l’harmonie et du foisonnement heureux des gouttes de pluie n’est jamais bien loin. Une question de perspective pour le performeur argentin Lisandro Rodríguez : Afficionados des rondeurs en mécanique, de Porsche ou des deux-roues, ou passionnés en devenir – vous serez emmenés (mais pas trop loin!) à moto, bien arrimés, jusqu’à la dernière des étapes. Une aventure ineffaçable ! Du 5 au 11 septembre 2020 en coréalisation avec La Bâtie – Festival de Genève. L’on se demande même s’il n’y a plusieurs univers qui se côtoient mais dont l’apparition resterait l’apanage de certains chanceux… Vous en saurez plus au mois de mars, dans Les Univers, de Joël Maillard. Créateurs.rices ou amoureux des formes seront également emballés par Makers d’Oscar Gómez Mata (Compagnie de l’Alakran) et Juan Loriente qui, bien souvent, offrent un nouveau regard sur le monde alentour : coloré, décalé, peut-être kitsch pour certains mais pareil au feu d’artifice pour d’autres. Makers en écho aux poètes, aux tisseurs de beauté, est un appel à sauver le monde. Rien que ça, mais ensemble, dans une salle, en mars également.

Comme il pouvait être long et magique le temps de ce printemps… dans l’attente d’un nouveau départ ou d’une décision impossible à prendre. Venez vivre le temps, justement, le 19 septembre aux côtés de Robert Cantarella et Romain Daroles. Ce dernier, dans Moi-même je me suis déçu, ravive les archives de la radio, neuf heures durant (sorties autorisées!), et pas n’importe lesquelles : Un retour dans le passé qui risque de provoquer une ruée vers les transistors. En mai non plus, on ne fera pas la sourde d’oreille ! Du 28 au 30 mai, dans le cadre de la 2e édition du Festival d’art sonore et radiophonique, Marie Jeanson, Clara Alloing et Céline Carridroit étofferont notre perception du transistor, mettant œuvres classiques et conférence sur un beau plateau, là-bas, lotis vers nos tympans. Une découverte sensorielle, grâce à la pièce Les yeux grand fermés.

L’Autriche s’invite dans la salle avec un texte plutôt retors de Peter Handke : Outrage au public. L’on retrouve la dynamique d’un personnage sur scène propre à la metteuse en scène Emilie Charriot – personnage  que vous ne serez pas prêt d’oublier, puisqu’il s’agit de faire réagir le public aux attentes qu’il projette sur toute pièce de théâtre. Que veut-on voir vraiment ? Du 6 au 11 octobre. Le fil autrichien se déroulera plus tard avec un texte de Thomas Bernhard, Avant la retraite mis en scène par Marion Duval, Camille Mermet, Aurélien Patouillard du 16 au 20 décembre ; un texte décapant, et c’est peu dire. On y fête l’anniversaire de Himmler, mais c’est une enclume littéraire éradiquant toute jeune pousse nazie.

Arrivée de l’Argentine, avec un coup d’œil non-dissimulé à la cuisine du pays qui emballe. 200 Golpes de Jamón Serrano fera fondre les plus opposés, mêmes farouches, à l’idée que les bonnes longueurs d’onde traversent les mondes : Des publics, des ambitions et des conditions de créaion radicalement différentes. La pièce, comme la comète blanche sur fond de nuit noire, n’a cure des contrastes et impressionne. Du 13 au 15 octobre. Cuidado ! Le spectacle est surtitré en français. S’il est question de perspectives contraires, ramenons à nous le spectacle Lolita, de Florence Rivero, joué du 13 au 15 avril : Qui sait vraiment ce que pensait Lolita, objet d’un amour incongru ? Était-ce un pacte, une provocation, une déception ? Dans le cadre du Festival C’est déjà demain.NEUF.

Du 17 au 18 octobre, le dramaturge franco-uruguayen Sergio Blanco provoquera le frisson. Une réinterprétation du mythe de Narcisse qui bousculera le cours des choses. La ira de Narciso ne sera donc pas une conférence comme les autres, elle sera résolument TED (« technology, entertainment and design » maybe thriller!) et vous encouragera sûrement à vous inscrire à un prochain cycle de conférences en ville !

Comme pour donner forme à nos aspirations d’être plusieurs à la fois, voici Le Colonel des Zouaves. Une pièce française en guise de clin d’œil honorable et amical adressé par l’auteur, O. Cadiot à L. Lagarde. Un comédien fort de plusieurs voix rendra compte des moments marquants, infâmes ou simplement drôles d’une chaumière de bien-pensants, tous plus précieux les uns que les autres. Du 29 au 31 octobre.

Disparaître de soi ou s’emparer des autres pour vivre différemment ? C’est fréquent, certes, mais a-t-on bien saisi ce qui était en jeu ? Pour fuir … quoi au juste ? La Possession de François-Xavier Rouyer confrontera comédiens et spectateurs à ce qui happe, aux peurs d’exclusion et d’appartenance, à ce qui pourrait arriver quand on sera (de) trop. En novembre. Du 14 au 17 avril, parenthèse nécessaire réservée au culte de la performance que l’on retrouve dans bien des domaines. Sarah Calcine et Pauline Castelli lèvent le voile sur le film On achève bien les chevaux de Sydney Pollack : danser jusqu’à plus soif pour une poignée de médailles… ou se protéger à tout va dans de belles cages de verre. On achève bien les oiseaux nous troublera ! Dans le cadre du Festival C’est déjà demain.NEUF

Un spectacle entre théâtre et cinéma, en collaboration avec le GIFF et le Locarno Film Festival, prendra le début du mois de novembre en otage et vous prendra sûrement en haleine ! Les Bonimenteurs – une allusion au métier disparu du conteur de films muets en lieu et place des dialogues  – extirpent le film Suspiria de Dario Argento de la boîte d’archives. Celui-ci, à coups d’improvisations musicales et vocales, fait peau neuve ! Du 13 au 15 novembre.

Le mois de novembre – mois du brouillard et de l’imagination salvatrice – se poursuivra avec Compass du 18 au 20 novembre, une pièce aux confins de l’Europe occidentale (Hongrie, Allemagne et Suisse). Partant de l’Odyssée, les danseurs aborderont le thème de l’exil et du naufrage, avec cette idée que l’on porte tous quelque chose de l’étranger en nous. Rencontres improbables au détour d’une plage ou d’un banc : le texte de Samuel Beckett, Premier amour, a d’ailleurs titillé chez Barbara Baker et François-Xavier Fernandez-Cavada l’envie de discuter de la thématique de la rupture, de l’abandon et des retrouvailles. Que de rebonds ! Du 12 au 17 janvier 2021.

Nous parlions de lieux féeriques dans notre ville, détrônant les codes habituels et nos barrières chéries de trop. Go Go Othello, dont les dates suivront, prendra place Chez Jean-Luc, en vieille ville. Ici, le temps d’une nuit, on dérange, défait et  arrange différemment. Ntando Cele, du Zaïre et vivant à Berne, a en effet de quoi s’outrager de l’ordre ambiant : À quand ce moment où Othello pourra arborer, tout naturellement, son identité de Maure et sa peau noire et être joué par une comédienne noire (renversement!) sans pour autant que cela soit l’unique objet de l’attention ? Une pièce en collaboration avec le Festival Les Créatives. Pour suivre sur la lancée identitaire, Stefan Kaegi et la troupe du Rimini Protokoll viendront présenter une série – oui, au théâtre! – : Vous serez Ada, ce personnage prêt à percevoir le monde et à l’envisager différemment grâce à une pieuvre ultrasensible.  «  Vous êtes ici » Ép. 5 : Temple du présent – Solo pour Octopus tournera du 29 janvier au 7 février dans le cadre du festival Antigel. La compagnie est célèbre pour ses constructions scéniques, à tel point qu’on ne sait plus vraiment si la réalité vous attend au sortir de la pièce ou si c’est vous qui venez de la quitter.

Enfin, quand on ne part pas, loin de (chez) soi, c’est une porte ouverte à ses multiples et infimes réflexions qui pansent, nous font avancer. Dans Le Souper, du 10 au 13 février, Julia Perazzini convie son frère aîné, disparu bien avant sa naissance et recoud le fil d’une plaie jamais fermée. Puis, comme une vasque enfin trouvée dans laquelle jeter ses pensées les plus vives, débordantes, Léa Pohlhammer parlera d’une punk qui mérite d’être connue : Violencia Rivas, du 30 avril au 9 mai. Dorian Rossel et Delphine Lanza propulseront le projecteur sur les mémoires sombres d’Ingmar Bergman dans Laterna Magica du 18 au 21 mai : Une œuvre contemplative, entre l’ombre et la lumière, en bref : ce qui nous compose.

Retrouver le goût pour ce qui nous entoure… Manières de dire que l’on accordera peut-être plus d’attention aux mots qui nous portent vers un ailleurs : Le Désordre du Discours de Fanny de Chaillé, prendra place à l’Université de Genève les 8 et 9 mars et rendra hommage à la première leçon dispensée par Michel Foucault en 1970 au Collège de France. Et le comédien Guillaume Bailliart  ne mâchera pas ses mots pour reprendre l’original L’ordre du discours !  Dans La Caméra qui parle, du 17 au 19 juin,  les comédiens sortant de l’Ecole Serge Martin partageront leur entrain pour le monde du geste et de l’intime, l’étroite collaboration nécessaire à toute bonne pièce ou projet en commun, mené par Christian Geffroy Schlittler.

La pièce At The End You Will Love Me culminera à la pointe de l’hybridité, entre performance visuelle et radiophonique. Elle sera l’occasion pour la professeure à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, Caroline Bernard, d’évoquer la schizophrénie du 16 au 21 février et les tentatives de guérison. Cet écho à notre situation d’impuissance face à la maladie marque un tournant, peut-être, dans notre sensibilité à l’autre. Alors ouvrons l’œil et quid d’amorcer un dialogue avec l’un de vos futurs voisins, à 1m50 ?

Laure-Elie Hoegen

Infos pratiques :

Le programme complet et les détails sont à retrouver sur le site du Théâtre Saint-Gervais.

Photos : © Laura Morales (This is not a love song) , Lisandro Rodriguez (Estás conduciendo un dibujo), Andrés Manrique (200 Golpes de Jamón Serrano), Marc Domage (Désordre du discours), Céline Michel (Le sexe c’est dégoûtant)

Laure-Elie Hoegen

Nourrir l’imaginaire comme s’il était toujours avide de détours, de retournements, de connaissances. Voici ce qui nourrit Laure-Elie parallèlement à son parcours partagé entre germanistique, dramaturgie et pédagogie. Vite, croisons-nous et causons!

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