La plume : critiqueLa plume : littérature

À l’ombre de l’arole, la vie retrouvée

« Y a plein de choses qui se passent dans ma tête. J’ai du temps pour réfléchir. Penser. Mais il n’y a rien de spécial qui en ressort. Je suis dans la lutte, la lutte avec mon mental. Il n’y a rien pour me changer les idées, pas de pote à appeler, pas de Netflix, pas de bars où aller boire une bière, même pas de musique ; j’avoue que ça me fait quasi flipper. Alors je sors voir les étoiles et me laisse impressionner par cette fête offerte à ceux qui lèvent les yeux, gratuite et silencieuse. » (Tom – p. 86)

Nous sommes à l’alpage, Andrea – que tout le monde surnomme André – est une bergère solitaire qui se voit imposer Tom, un acteur parisien en pleine recherche pour un futur rôle. Ces deux êtres que tout semble opposer finiront par s’ouvrir l’un à l’autre, l’isolement dû à la montagne aidant. L’arrivée d’Edem, un migrant recueilli dans le chalet, va encore faire évoluer leur relation et les rapprocher. Mais l’ombre de Paul, le mari décédé d’Andrea, ainsi que le cancer dont elle semble remise, sans compter la carrière de Tom et la menace qui pèse sur Edem en raison de sa situation : tout cela plane sur le petit paradis qui s’est créé là-haut. À l’ombre de l’arole, le premier roman de Janie Ansermot, résonne comme une ode à la simplicité, au retour à la nature et à des relations humaines vraies, pleines de tendresse.

« Ma tête me dit que je devrais converser avec cet homme. Je ne connais pas grand-chose des relations humaines, mais je préfère me fier à ce que les gens font, plutôt qu’à ce qu’ils disent. Dans le silence, je perçois des mots. » (Andrea – p. 76)

À l’ombre de l’arole est donc un roman qui porte avant tout sur les relations humaines. Andrea, un peu bourrue, renfermée depuis la mort de Paul – narrée dans le prologue – et dont le corps n’a toujours pas été retrouvée, ne parvient pas à passer à autre chose, même vingt-deux ans après. Tom, de son côté, est habitué au faste et au confort, et va vivre une véritable découverte, loin de tout. Il et elle ont beaucoup à apprendre l’un-e de l’autre. Si les ressorts narratifs paraissent assez classiques, avec cette attirance qui se développe entre eux et qu’on comprend rapidement, le tout est tout de même bien amené, et la fin peut surprendre. Le personnage d’Edem, qui intervient sans faire tomber le récit dans l’habituel triangle amoureux, est également à relever. Il agit comme un pont entre eux, avec une ouverture à la tolérance et à l’acceptation de l’autre. Lui qui cherchait une belle vie en Europe après avoir quitté sa Guinée natale, trouve peut-être encore mieux que ce qu’il espérait dans cette forme de dénuement.

« Moi, je n’ai pas su rebondir à la perte. Je vis chaque jour avec. Glissant ma main dans celles de ceux déjà partis. Leurs âmes jouent avec mes cheveux les jours de grands vents. Je ne les oublie pas, je vis avec des vides. » (Andrea – p. 31)

La construction de ce roman se révèle particulièrement astucieuse : tout est narré à la première personne, mais chaque chapitre, bref, l’est par un personnage différent. Si l’on suit principalement les pensées d’Andrea et de Tom, on entre aussi dans la tête d’Edem par moments, ou de Paul dans le prologue. En alternant les points de vue, Janie Ansermot parvient à nous montrer différents éléments. On comprend le ressenti de chacun-e, mais aussi leur évolution intérieure, avec leurs propres mots. Les pensées viennent compléter les dialogues pour mieux comprendre comment chaque personnage perçoit l’autre. La forme choisie agrémente donc parfaitement le fond de cette jolie histoire.

« L’ascension se déroule sans accroc, sous un ciel étincelant. J’aurais dû me méfier. À trop avoir peut des intempéries, on en oublie les dangers du beau temps. Après une pause et de belles prises de vue par les amateurs de photographie, je suis impatient de redescendre. La neige de la semaine dernière a effectivement recouvert toutes les traces des passages précédents. Je vais devoir prendre le temps d’éviter les crevasses dans ce labyrinthe. Nous progressons lentement et j’entends les jeunes cadres commerciaux s’impatienter. Bières et femmes les attendent. J’accélère le pas.
Je n’aurais pas dû.
Car, moi aussi, j’ai une femme. La plus jolie de toutes, Andrea. » (Paul – p. 12)

Le prologue semblait annoncer un ouvrage sur la perte, le deuil, ou encore une forme d’aventure. Il n’en est rien. Vingt-deux ans après, l’ombre de Paul plane toujours. Et on comprend mieux les sentiments d’Andrea au fil du roman. Ce choix de prologue donne ainsi une autre profondeur au roman, tout en lui permettant de boucler finalement la boucle. Et le tout s’apparente à une jolie leçon de vie, celle que chacun-e reçoit. Mais celle de Tom est sans doute la plus proche de nous :

« Je ne sais pas faire la moitié de ce qu’elle vient d’énumérer et franchement je n’avais jamais pensé que cela avait de l’importance. Mais je saisis mieux, en regardant autour de moi, que l’essence de la vie n’est pas de posséder la dernière de Nike, ni d’avoir vu l’ultime série de Netflix. Ici, les priorités sont différentes. » (Tom – p. 65-66)

Fabien Imhof

Référence :

Janie Ansermot, À l’ombre de l’arole, Genève, Éditions du Chien Jaune, 2025, 257p.

Photo : ©Fabien Imhof

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *