Les réverbères : arts vivants

Accepter le mystère

Des arrières-mondes – Invisible – de Denis Correvon et Yasmine Saegesser, au Théâtre Alchimic, c’était à voir jusqu’au 14 décembre 2025.

En 1853, Victor Hugo est en exil sur l’île de Guernesey. Lors d’un soir de spiritisme, bouleversé, il communique avec sa fille Léopoldine décédée dix ans plus tôt. Plus près de nous en 1992, Robert Badinter lance dans une juste colère restée dans les mémoires : Les morts nous écoutent ! Où se trouve la frontière entre ces deux mondes, qui semble perméable ? C’est une question de croyance pour beaucoup, d’expérience pour peu, de mystère pour tous.

Ce que nous offre le spectacle Invisible est un mélange d’idées à propos de l’au-delà : les morts sont bien vivants dans leur royaume, les arrière-mondes sont voisins du nôtre et nos faits et gestes n’échappent pas à ceux qui nous ont quitté. Les choses seraient plus tissées que parallèles, une descente dans les profondeurs des croyances sans passer par Dieu.

On lui avait dit, elle n’en a pas tenu compte, elle est partie seule. Jeanne (Pauline Epiney),  une jeune femme de trente ans avec des restes d’adolescence dans son sac, se tue sur un flanc de montagne. Sa soif d’être autrement est une cause d’énervement pour sa sœur, d’inquiétude pour sa mère et d’amusement pour son beau-frère.

Après avoir suivi sans doute la lumière, Jeanne se retrouve donc corps et âme intacts de l’autre côté, seule et sans trop d’affolement dans un lieu vide de gens et de chose. Ce personnage porte une vision apathique face à ce qu’elle découvre. Étrange ataraxie qui laisse perplexe. Sur terre, les sentiments sont vifs, l’inquiétude sur sa disparition gagne la mère (Laurence Amy), puis la sœur (Yasmine Saegesser) et enfin le beau-frère (Patrick Devantéry). Les vivants sont bien vivants et les morts pas si morts ! Les choses sont réduites à une expression assez classique sommes toute, dommage.

La clé du spectacle – qui aurait pu arriver plus tôt, est offerte en remontant le temps, en découvrant une paix heureuse en famille avec pour les deux sœurs des jeux fantasques et enfantins. Les amis imaginaires des mômes ne sont pas des hantises, des troubles, mais bel et bien une réalité que les parents ne doivent pas prendre à la légère, là réside le passage possible entre les deux mondes. Le médium, c’est Charlie, la grande sœur dont l’imaginaire a été réduit par les psys et sera ressuscité par Jeanne. Le spectacle continue à obéir aux règles de l’attendu.

Donc, Jeanne va tout faire pour communiquer avec sa frangine en créant des anomalies – sons, déplacements d’objets – pour la rassurer à son propos… et lui dire qu’elle n’est plus, mais que tout va bien et que tout ira bien pour Charlie à l’heure de sa mort, selon la prière. La communication va passer… mais cela manque de magie. Ce spectacle aurait mérité une mise en scène plus nerveuse.

Certes, il y a çà et là des amusettes, des fantaisies et quelques trouvailles, le tout mû par des personnages peints à l’aquarelle avec un peu trop d’eau, à l’exception du rôle de la mère marquée à la sanguine. Rien de vraiment réjouissant et pétillant nous est proposé qui donnerait plus de goût à la vie avec la mort, et offrirait plus de goût à la mort sans la vie. Découvrir une forme de vide – ce qui est bien autre chose que le rien – après le dernier passage est plus angoissant que d’en imaginer le plein tel Le Bistro préféré de Renaud.

Ici, la conscience dans l’au-delà est révélée – mais encore une fois dans un monde meublé par rien avec une porte ouverte sur l’au-delà de l’au-delà. Cela nous pousse à continuer d’espérer et d’imaginer des arrière-mondes tout autres.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Invisible de Denis Correvon et Yasmine Saegesser, au Théâtre Alchimic, du 25 novembre au 14 décembre 2025

Mise en scène : Denis Correvon

Avec Laurence Amy, Patrick Devantéry, Pauline Epiney, Yasmine Saegesser

https://alchimic.ch/invisible/

Photos : © Sébastien Monachon

Jacques Sallin

Formé à l'université de la ferme et à l'atelier du Victoria Hall, c'est avec cette double culture qu’il s'approprie le monde. Il tenté de conjuguer les choses en signant des textes et des mises en scènes. La main, le geste, la phrase, le mot, c'est pour lui toute l'intelligence de la scène.

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