Amour en kit à La Bâtie
La Salle Grand Salève de Veyrier, puis Le Savoy à Ville-la-Grand, accueillaient cette semaine Mathieu Despoisse et Etienne Manceau pour Pling-Klang, un spectacle où l’humour visuel contraste, en apparence, avec la discussion profonde des deux protagonistes. Une pièce qui fait beaucoup rire, mais qui présente également une belle dimension métaphorique. À voir dans le cadre de La Bâtie.
Le principe est simple, de prime abord : deux amis vont monter la fameuse étagère Kallax sous nos yeux. Mais – et on en a toutes et tous sans doute déjà fait un jour l’amère expérience – la notice n’est pas toujours aussi simple qu’elle n’en a l’air. Quand, en plus, nos deux complices se compliquent la vie en se mettant dans des situations improbables, cela donne un résultat hilarant. Mais ce n’est pas tout, car, pendant qu’ils montent leur meuble, ils discutent de leurs relations amoureuses, et déconstruisent certaines de leurs convictions. L’un déteste attendre, et a vécu des histoires compliquées, tandis que l’autre cherche ce qui lui convient le mieux, en écumant notamment les clubs échangistes. Le tout donne un spectacle à la fois contrasté entre la parole et le geste, mais en même temps, le second est une métaphore du premier. Ou comment interroger le couple avec un meuble Ikea.
Tout en contrastes
Le format de Pling-Klang est un huis-clos : pas de décor, si ce n’est le carton dans lequel se trouvait le kit à monter, et peu d’accessoires en-dehors des éléments du meuble et des outils dont les deux protagonistes auront besoin. Deux lumières au plafond varient également selon l’ambiance du propos. Pourtant, dans cet apparent huis-clos prend place un autre protagoniste : le public ! Le voilà qui est amené à apporter une contribution, dans une dimension parfaitement conviviale. On ne vous en dira pas plus, au risque de gâcher la surprise. Mais rassurez-vous : rien d’oppressant ou qui vous mettra mal à l’aise. Au contraire, tout reste dans l’esprit bon enfant du spectacle.

Le principal contraste de Plink-Klang réside cependant dans sa forme, qui semble ne rien avoir à faire avec le propos. Les conversations sur l’amour et la vie de chacun sont profondes : l’un a semble-t-il laissé passer sa chance d’avoir des enfants, tandis que l’autre n’est plus totalement sûr de savoir ce qu’il veut. Pendant une heure, ils discutent de tout cela, tout en se débattant avec le montage de l’étagère. Un montage qui ne se déroule pas sans accroc : il faut s’entraider, faire face à un équilibre souvent précaire, retrouver les bons éléments… bref, les situations auxquelles nous assistons sont cocasses et comiques. Dans ce spectacle circassien – on admire d’ailleurs la performance physique – il y a quelque chose de très clownesque, qui provoque l’hilarité du public. On pourra citer cette mémorable partie de ping-pong, qui inspire d’ailleurs le titre de la pièce, ou encore ce jeu d’équilibre, lorsque l’un doit tenir l’étagère pendant que l’autre tente d’y insérer les rayons. Peut-être n’ont-ils pas choisi la plus simple des options, mais que serait un montage de meuble sans quelques obstacles ?
Métaphore de la vie
Toutefois, rien dans cet humour n’est gratuit ! La dimension comique omniprésente en dit également long sur le propos. Et c’est là où le duo s’avère particulièrement fort : donner l’impression de présenter un spectacle totalement absurde, tout en parlant d’amour. D’ailleurs, ce côté absurde n’est-il pas une facette des relations de couple ? Tout devient alors métaphore de la relation amoureuse : on a besoin de l’autre pour avancer sur certaines étapes, même si, par fierté, on n’ose pas toujours le verbaliser ; le dialogue est nécessaire constamment ; et il faut aussi parfois se laisser le temps de souffler, pendant que l’autre avance de son côté… Tout cet équilibre précaire, au sens figuré comme au propre d’ailleurs, ne reflète-t-il pas également la fragilité du couple, où tout peut basculer pour un détail ?

On évoquera encore la montée de l’énervement, pour des choses parfois futiles, comme l’absence d’un tourillon ou une vis qui ne s’insère pas correctement… et puis, il y a cette impression d’impuissance, lorsque quelque chose bloque et qu’on n’arrive pas à le surmonter, ou que tous les efforts qu’on a faits semblent avoir été accomplis en vain. En témoigne cet appel au service après-vente, pour demander de l’aide, alors que le montage du meuble est au point mort, comme peut l’être une relation dans les pires moments de creux. Cet appel devient alors une véritable thérapie de couple, avec des exercices de respiration et une écoute mutuelle façon Montessori. On rit presque aux larmes ! Pling-Klang s’avère finalement être une magnifique surprise – et il y en a encore plein à découvrir ! – pleine de jolies trouvailles, pour qu’on ne tombe jamais dans un faux rythme ou dans l’ennui. Notons ici la blague de l’interrupteur : au-delà du gag visuel auquel peu de gens s’attendaient, il intervient également à un moment où l’un des protagonistes interrompt l’autre en pleine diatribe sur le couple. Métaphorique vous avez dit ? Revenons encore sur cette partie endiablée de ping-pong lorsque l’étagère devient table et les rayons raquettes ; l’attente interminable lors de l’appel au service après-vente et cette musique répétitive et entêtante ; les jeux d’équilibre incessants, ou encore toutes ces histoires autour des tourillons, qu’il faut ramasser, qu’on ne trouve plus, qui sont cassés ou déjà installés à un endroit où ce n’était pas nécessaire… Pling-Klang, un petit bijou d’humour, mais aussi de réflexion, empli de métaphores du couple. Et à la fin du spectacle, on peut même, à prix libre, récupérer des objets insolites autour du spectacle. On en redemande !
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Pling-Klang, de l’Avant-Courrier (Mathieu Despoisse, Etienne Manceau et Bram Dobbelaere), les 9 et 10 septembre 2025, à la Salle Grand Salève de Veyrier, puis le 11 septembre 2025 à la Salle Le Savoy de Ville-la-Grand, dans le cadre du festival de La Bâtie.
Mise en scène : Mathieu Despoisse et Etienne Manceau, avec les conseils artistiques de Marie Jolet
Avec Mathieu Despoisse et Etienne Manceau
https://www.batie.ch/fr/programme/despoisse-mathieu-manceau-etienne
Illustrations : ©Albin Bousquet
