Anderson chez les Cananéens
Dans The Phoenician Scheme, le tout nouveau Wes Anderson, nous suivons les aventures de Zsa-Zsa Korda (Benicio Del Toro) et de sa fille et religieuse novice, Liesl (Mia Threapleton). Accompagné-es par l’entomologiste Bjorn Lund (Michael Cera), le trio enchaîne une série d’ordalies composées de rencontres plus loufoques les unes que les autres afin de sauver le projet de construction d’une infrastructure dans l’état fictif de Phénicie qui ruinerait Zsa-Zsa en cas d’échec.
Après toutes ces années, la sortie d’un nouveau Wes Anderson ressemble presque à une réunion de famille. On y retrouve cette pléthore d’acteur-trices de premier plan dont certain-es n’ont même plus besoin de parler, le tout filmé dans un cadre et une atmosphère désormais (peut-être trop) familière. On retrouve également cette mise en scène méticuleusement, pour ne pas dire obsessivement, symétrique, où chaque plan est aussi bien réglé qu’une montre suisse. Sans se mentir, on ne va pas voir un film d’Anderson pour être surpris mais bien parce qu’on sait pertinemment ce qui nous attend. Les films d’Anderson sont presque comparables à un plaisir coupable où l’on se laisse tenter par la satisfaction d’un plan bien tourné pour le simple amour de l’esthétique.
Niveau histoire, nous suivons les aventures d’Anatole « Zsa-Zsa » Korda, homme d’affaire véreux, dans une série d’aventures afin de sauver le « deal » de sa vie compromis par un conglomérat industriel américain l’accusant de concurrence déloyale. Survivant à une énième tentative d’assassinat, Zsa-Zsa semble entamer une crise existentielle. Il décide de nommer sa fille, Liesl, comme sa successeure et lui explique le fameux plan phénicien. Il s’agit de la création d’un cartel entre différents personnages issus des milieux criminels, d’affaires et politique afin de mettre en coupe réglée l’entière région fictive de Phénicie. Liesl, religieuse novice, est pour le moins réfractaire à ce complot qui impliquerait corruption, meurtre et de réduire une partie de la région en esclavage, mais décide de suivre son père, poussée par son désir résoudre le mystère du meurtre de sa mère et, accessoirement, dans l’espoir de sauver l’âme de son père. Accompagné-es par l’entomologiste Bjorn, ils partent à la rencontre de chacun des membres du cartel phénicien afin de sauver leur investissement.
Parlons en premier lieu de l’argument majeur du film, pour ne pas dire de chaque film d’Anderson, le casting. Il existe peu de réalisateurs qui se peuvent se targuer de mobiliser une telle pléthore d’acteurs de premier plan systématiquement. Le line-up du Phoenician Scheme ne fait à ce niveau pas exception. On retrouve la quasi-totalité des acteur-trices qui forment la « famille » Anderson tels que Bill Murray, Willem Dafoe ou encore F. Murray Abraham. La liste est tellement longue dans ce film que l’on serait même tenté de dire que l’on passe à certains moments à un autre niveau. En effet, le casting est tel que certaines des stars sollicitées se contentent d’apparaître l’écran quelques secondes sans même se fendre d’une ligne de dialogue. Cette surenchère en devient même comique au point où l’on est tenté de croire que Wes Anderson et ses comparses jouent à narguer l’audience.
Coté thématique, nous retrouvons une thématique également familière : celle de la rédemption à travers la paternité. On se souvient par exemple dans La Vie aquatique ou encore La Famille Tenenbaum, la famille sert systématiquement de canaliseur au cheminement personnel du protagoniste qui passe par une crise existentielle. Ici, Zsa-Zsa est confronté dès le début à des visions du paradis dont il fait l’expérience à intervalles réguliers tout au long du film. Filmées en noir et blanc, chacune de ses visions fait écho à un épisode du film pour lui rappeler un peu plus à chaque fois la vacuité de son existence jusqu’à ce jour. La succession de rencontres avec les actionnaires devient alors un chemin de croix où Zsa-Zsa est mis face à son passé superficiel et matérialiste et son potentiel futur, ici personnifié par sa fille vivant dans la simplicité de la vie religieuse. Les autres références aux épisodes bibliques sont multiples dans ce film qu’on laissera aux spectateur-trices le soin de découvrir. Le titre même peut être pris comme une référence à la terre de Canaan, symbole de prospérité éternelle promis aux Israelites.
Si la thématique semble alors lourde de sens, il n’en est rien du film. Celui-ci est subdivisé en épisodes dont chacun se concentre sur la rencontre avec les actionnaires du Scheme. Le film suit alors les conventions habituelles d’un Wes Anderson habituel, avec son lot de dialogues et de scènes plus loufoques les unes que les autres. Ce qui est toutefois toujours rafraîchissant est de voir ces acteur-trices tou-tes plus célèbres les un-es que les autres dans des rôles dramatiques se prendre au jeu et jouer à qui se prendra le moins au sérieux. Il s’agit là peut-être du secret du succès de Wes Anderson. Ses films sont certes conventionnels et méticuleusement préparés, pour ne pas dire maniérés, mais sans jamais sombrer dans le snobisme ou la prétention, bien au contraire. On notera tout particulièrement aussi qu’il s’agit de la première collaboration de Michael Cera avec le réalisateur. L’alchimie est tellement réussie que non seulement on espère que cela ne sera pas la dernière, mais on se demande également pourquoi celle-ci a tant tardé à arriver.
En définitive, si The Phoenician Scheme n’est certainement pas la meilleure œuvre de Wes Anderson, on se laisse toutefois prendre au jeu. Oui, Wes Anderson ne se réinvente pas et le film ne surprendra pas les fans. Mais s’il est une chose que l’on ne pourra lui reprocher, c’est bien sa générosité. Qu’il s’agisse du casting, des décors, des dialogues ou encore de la mise en scène, tous les ingrédients sont au rendez-vous. On passe un agréable moment dans un cadre que l’on connaît certes par cœur mais où « personnellement on se sent en sécurité ». À voir ne serait-ce que pour la satisfaction d’un plan bien fait juste pour le plaisir et (presque) rien d’autre.
Alexandre Tonetti
Référence :
The Phoenician Scheme, réalisé par Wes Anderson, États-Unis, sortie en salles le 28 mai 2025
Avec Benicio del Toro, Mia Threapleton et Michael Cera
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