Les réverbères : arts vivants

Boléro, une exigence physique jusqu’à l’épuisement

Sidi Larbi Cherkaoui et ses deux invités, Damien Jalet et Marina Abramović –figure incontournable de la performance depuis les années 70 – créent une chorégraphie hypnotisante sur le Boléro de Ravel au Grand Théâtre de Genève. 

Conçu comme une spirale, allant du minimal orchestral au tutti forte, le Boléro tient en haleine quiconque l’écoute et se laisse porter jusqu’à l’apogée où tous les instruments de l’orchestre résonnent à l’unisson. Chorégraphier une telle musique demande d’élaborer un mouvement continu, universel, et c’est exactement ce à quoi le binôme Cherkaoui-Jallet et Marina Abramović parviennent magistralement. 

Onze danseur-euses vêtu-es d’une cape noire à capuche s’avancent mystérieusement à pas cadencés en martelant le sol de leurs pieds. Puis un à un, les danseur-euses retirent leur cape et dévoilent un justaucorps sur lequel leur squelette est dessiné de broderies. Cela évoque forcément la Calavera Catrina, la personnification mexicaine folklorique de la mort, omniprésente lors de la Fête des Morts. La Catrina ici n’est pas vêtue de riches vêtements, mais de magnifiques broderies artisanales qui dessinent le squelette.  Le boléro prend alors l’allure d’une danse macabre.  

Une sorte de folle farandole qui se démultiplie dans un miroir placé au-dessus du plateau, afin de voir la chorégraphie à partir d’une perspective différente.  De petites spirales tournant sur elles-mêmes à l’infini sont projetées au sol, qui lui-même se reflète dans le miroir. Une perspective où tout se dédouble sur une mathématique fractale. L’effet est magique et le regard du spectateur est attiré par ce miroir-écran où la réalité de ce qui se passe sur le plateau prend une forme onirique, voire galactique. L’effet est hypnotisant. Marina Abramović a apporté une vision scénographique fondée sur le « bruit blanc », soit l’écran visuel « brouillé » de la télévision hertzienne. Ce moment où, après la fin des programmes, on ne voit plus qu’un fourmillement de points noirs et blancs où se mélangent toutes les fréquences audibles de manière égale. Peut-être le bruit de l’univers ! « En simplifiant beaucoup, Marina Abramović propose que lorsque la télé ne capte aucun signal, c’est cela qu’elle capte, l’univers. Elle aimait cette idée que c’est cela qui nous entoure, dans quoi nous baignons, nous dansons, nous existons, nous naissons et nous mourons. »* 

La partition de Ravel poursuit son leitmotiv magnétisant alors que les danseur-euses semblent pris-es dans un tournoiement sans fin, universel, à la manière des derviches tourneurs dont la danse reflète un équilibre subtil entre le ciel et la terre, entre la spiritualité et le monde matériel. 

La fin du Boléro est soudaine et brutale comme la mort. C’est elle qui apparait brusquement sous la cape noire initiale. D’un geste cabalistique, elle signifie les dernières mesures du Boléro, les danseur-euses s’immobilisent, c’est la fin. Le passage inéluctable dans une autre dimension a eu lieu. 

Le trio Cherkaoui, Jallet et Abramović fonctionne à merveille et leurs visions conjuguées amènent une cohérence à la fois chorégraphique, visuelle, spirituelle et dramaturgique. Une hymne à la partition inoxydable de Maurice Ravel. 

Katia Baltera 

Info pratiques : 

Boléro, avec le ballet du Grand Théâtre de Genève, du 19 au 25 novembre 2025. 

Concept et chorégraphie  : Damien Jalet, Sidi Larbi Cherkaoui 

Concept et scénographie : Marina Abramović 

Direction musicale : Constantin Trinks 

https://www.gtg.ch/saison-25-26/bal-imperial-bolero/ 

Photos : © Gregory Batardon 

*Citation de Sidi Larbi Cherkaoui issue du livret du GTG.

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