Les réverbères : arts vivants

Cabaret pour la fin du monde

Avec On s’inquiètera en janvier, Le Poche fête la première édition de son cabaret de décembre, qui tend à devenir un rendez-vous incontournable. Dans ce moment de fête, alors que tout semble s’écrouler, on se demande à quel point ce spectacle est un reflet de notre monde. À voir jusqu’au 21 décembre, dans une mise en scène d’Antoine Courvoisier.

Sur le plateau, un rideau rouge en velours trône au fond de la scène arrondie. Une silhouette, rouge elle aussi, dévoile petit à petit les instruments qui accompagneront le cabaret : une batterie, une contrebasse et un piano. Puis Yves Jenny, en diva et maître de cérémonie, entre sur scène pour nous offrir le premier numéro : sa chanson du boa. Accompagné d’Aurélia Loriol, avec ses claquettes et son costume étoilé, ce sont eux qui présenteront la soirée. Dévoilant la liste des numéros qui n’auront pas lieu, tout en annonçant quelques éléments qu’on pourra voir, ils nous expliquent les circonstances dans lesquelles prend place ce cabaret : dans un futur proche, sans internet et où l’électricité n’est plus illimitée, tout risque de partir à vau-l’eau. La lumière tiendra peut-être encore une heure, une heure et quart « à tout péter » – on apprécie le choix de l’expression – et il faut donc jouer avant que tout ne s’effondre.

Refuge face à un monde en perte

Ce petit cabaret prend donc place dans un avenir potentiellement pas si lointain. Les personnages (Yves Jenny, Aurélia Loriol et Alix Henzelin, accompagné-es des musicien-nes Mael Godinat, Julien Israelian et Jocelyne Rudasigwa) sont des artistes, qui nous proposent un moment hors du temps pour s’amuser, oublier, vivre sans pression. On retrouve donc de nombreux numéros, parmi lesquels des chansons, une chorale autour du Léman, un rap engagé entre un mouton et une poule, un Henri Dès qui n’a plus de limite, toujours accompagné de son fidèle Albert le Vert… on attend aussi le retour annoncé de Dalida. Et pendant ce temps, tout se déglingue : le rideau se décroche, des fils pendouillent, un projecteur tombe… On ressent une forme d’urgence, mais il faut tenir jusqu’au bout !

Que nous dit alors ce cabaret sur nous-mêmes et notre époque ? S’amuser est ici un besoin, face à un monde déjà perdu, comme une soupape de décompression. Mais c’est aussi un miroir de la nôtre, d’époque. Nous agissons de la même manière, en quelque sorte, sauf que notre monde n’est pas encore effondré. Il s’agit plutôt d’occulter ce qui ne va pas. La stratégie consistant à se voiler la face est-elle la bonne ? La réflexion va encore plus loin, sur la place de l’art dans notre société. On en perçoit l’importance, la nécessité même, aurait-on envie de dire. Pour ne pas sombrer. L’art représente une forme d’espoir, mais aussi une façon de voir et de raconter le monde autrement, pour illustrer, réfléchir, sourire, rire aussi, sans oublier complètement.

Un véritable cabaret

La forme choisie pour montrer tout cela est un cabaret, avec beaucoup de numéros et une grande diversité. Mais attention, rien de classique là-dedans, même si tous les codes nous le rappellent. Tout est poussé par l’urgence de la situation, pas le temps de s’étendre sur le projet, il faut agir. On relèvera ce très joli numéro sur les rêves enterrés, qui nous invite à profiter simplement de la vie, avant qu’il ne soit trop tard. Ce cabaret nous aide à nous rendre compte de la chance que nous avons simplement d’être en vie et de pouvoir faire autant de choix. Alors, au lieu de tout repousser, profitons-en ! L’une des dernières scènes, alors que tout est en ruines, vient d’ailleurs cruellement nous le rappeler. Ce cabaret est une sorte de fête dans sa forme, mais le fond résonne aussi fortement.

Alors, on ressent une forme de joie, dans cette exaltation imaginée à huit mains par Camille Rebetez, Rebecca Vaissermann, Daniel Vuataz et Fanny Wobmann. Les numéros, le jeu, l’ambiance sur scène, avec cette grande complicité entre toutes les personnes au plateau, tout contribue à nous faire rire. On évoquera encore ce gag récurrent du « remplaçant » qui aimerait lui aussi participer, mais est toujours envoyé balader. Une manière de nous rappeler la valeur de l’humain aussi, qui pourrait être mieux valorisé. Le parallèle est fait avec l’ampoule de rechange, à laquelle on ne fait appel que lorsque les autres ne fonctionnent plus. Mais n’est-ce pas déjà trop tard ? On y voit un autre reflet du spectacle vivant, que nos politiques ont parfois tendance à mettre de côté. Et si on se rendait compte de son importance quand il sera trop tard ? En cette période trouble pour la culture, à bien des égards, ce cabaret vient nous rappeler qu’on a besoin des arts vivants, avec tout ce qu’ils peuvent apporter. En attendant, on profite, et On s’inquiètera en janvier !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le Poche Cabaret – On s’inquiètera en janvier, de Camille Rebetez, Rebecca Vaissermann, Daniel Vuataz et Fanny Wobmann, du 4 au 21 décembre au Théâtre Le Poche.

Mise en scène : Antoine Courvoisier

Avec Yves Jenny, Aurélia Loriol et Alix Henzelin, accompagné-es des musicien-nes Mael Godinat, Julien Israelian et Jocelyne Rudasigwa

https://lepoche.ch/spectacle/on-s-inquietera-en-janvier

Photos : ©Chloé Cohen

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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