Les réverbères : arts vivants

Ce qui nous lie

Le premier spectacle joué sous la nouvelle direction de Martine Corbat au Poche, nous plonge dans l’intimité d’une relation sororale. Ludovic Chazaud adapte, Le vieil incendie, un roman signé Elisa Shua Dusapin. À voir jusqu’au 12 octobre. 

Après la mort du père, Agathe (Coline Bardin) revient dans la maison d’enfance, au cœur de la forêt du Périgord, pour la débarrasser avant sa destruction. Les pierres seront utilisées pour reconstruire le pigeonnier voisin, détruit lors d’un incendie, une centaine d’années plus tôt. Dans la bâtisse, elle retrouve Véra (Eve Aouizerate), sa petite sœur devenue aphasique à l’âge de 6 ans. Toutes deux avaient une relation fusionnelle avant le départ de l’aînée pour New York, mais le temps a fini par les éloigner. Celle qui est devenue une scénariste à succès retrouve en France une jeune femme désormais passionnée de cuisine et toujours pleine d’humour. Le vieil incendie narre une relation retrouvée, où la sororité est poétisée, tandis que le passé s’intègre dans le récit, et que la fin prend le contre-pied de certaines histoires au point de départ similaire. 

Récit théâtral 

Trois écrans composent la scénographie du spectacle, imaginée par Yan Godat. L’un surplombe la scène, tandis que les deux autres sont mobiles, sur roulettes. Au début de la pièce, le titre est projeté, en compagnie des mots « Récit théâtral ». Par la suite, les écrans serviront à projeter les dates des neuf jours que dure l’histoire, ainsi que les SMS envoyés par Véra. C’est le moyen de communication qu’elle a choisi pour s’adresser à sa sœur, à défaut d’être douée de parole. Le choix de Ludovic Chazaud, avec ces projections, offre une dimension particulière à cette aphasie. Le public, comme la grande sœur, doit lire pour comprendre les échanges. Les paroles d’Agathe laissent place aux silences de Véra, permettant de lire les expressions du visage de cette dernière et d’apporter une forme de poésie à leurs échanges. Le metteur en scène respecte ainsi l’idée du roman, en trouvant un bien joli moyen de la retranscrire à la scène. Une relation en miroir s’installe dès lors entre les deux sœurs : après avoir vécu la même enfance, leurs parcours ont fini par différer totalement. La symétrie entre elles se retrouve dans la scénographie, avec ces deux écrans systématiquement placés de la même manière, en miroir. La narration se fait ainsi, avec chacune des sœurs d’un côté de la scène, soit l’une en face de l’autre, soit côte-à-côte. La prise en charge du récit est assurée par les deux comédiennes, à la première personne pour Agathe, à la deuxième pour Véra. Comme si le fil de ses pensées et de ses souvenirs trouvait une voix à travers celle d’Eve Aouizerate. Ce choix peut perturber au début, avec l’alternance entre « je » et « tu », mais elle permet d’aborder différents points de vue et de donner un certain dynamisme au récit. 

La narration, puisqu’il s’agit davantage de cela que d’une pièce « jouée » de manière classique, débute donc avec Agathe, puis Véra qui complète. Mais un troisième comédien, Baptiste Morisod, plane tout du long comme une ombre. Il est présent au début du récit, sans véritablement intervenir. Ne sortant jamais du plateau, il finira par interpréter différents personnages, à l’image de l’hilarant chasseur et du non moins hilarant guide dans les grottes de la région. Surtout, il incarne ce voisin, fortement lié aux sœurs, qui a veillé sur Véra et semble avoir une certaine connexion avec Agathe. Pourtant, il demeure toujours quelque peu en retrait, bien que constamment présent. Une manière subtile de montrer que le propos de la pièce se concentre bien sur la relation sororale, dont il demeure indissociable, tout en étant un personnage secondaire. 

Le lien au centre 

Finalement, Le vieil incendie ne présente aucune histoire extraordinaire, pas de grands rebondissements, mais ne tombe pas non plus dans les schémas classiques de ce genre de récit. Le retour d’Agathe ne débouche pas sur une révélation qui la conduirait à tout plaquer pour rester près de ses racines. Le récit imaginé par Elisa Shua Dusapin s’avère bien plus subtil et poétique. Le lien entre les deux sœurs, nous l’avons déjà évoqué, se trouve au cœur du propos. Ce qui nous intéresse aussi, c’est le rapport entre le présent et le passé. Le récit passe de l’un à l’autre presque sans transition, si bien qu’on s’y perd un peu parfois, bien que la temporalité soit toujours marquée par un mot ou l’autre. Le lien distendu entre Agathe et Véra semble ainsi se reconstruire sous nos yeux, petit à petit, tout en conservant cette distance qui s’est créée. On se demande alors ce qui se passera lorsqu’Agathe sera rentrée aux États-Unis. 

Si ce lien est magnifiquement poétisé par l’écriture d’Elisa Shua Dusapin, la mise en scène de Ludovic Chazaud, les lumières subtiles de Yan Godat et le jeu tout en finesse de Coline Bardin, Eva Aouizerate et Baptiste Morisod, on a tout de même une certaine impression de manque en sortant de la représentation. On ne parvient pas à véritablement mettre le doigt dessus : manque-t-il un élément de récit ? Une forme de résolution finale ? Ce petit supplément qui nous procurerait un sentiment de complétude. À la fin de la pièce, on entend des collégien-nes – qui ont lu le roman – évoquer un manque de lien avec les ruines, qui semblent être un élément central du récit, mais sont finalement peu mises en avant, au profit du lien sororal. Et si c’était ce lien entre la relation et les lieux qui n’était pas assez approfondi ? Il faudrait lire le roman avant de revoir le spectacle pour y répondre… 

Fabien Imhof 

Infos pratiques : 

Le vieil incendie, d’après le roman d’Elisa Shua Dusapin, du 25 septembre au 12 octobre 2025 au Théâtre Le Poche. 

Adaptation et mise en scène : Ludovic Chazaud 

Avec Coline Bardin, Eva Aouizerate et Baptiste Morisod 

https://lepoche.ch/spectacle/le-vieil-incendie 

Photos : ©Dorothée Thébert 

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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