Les réverbères : arts vivants

« C’est comme ça qu’on apprend ! »

Rares sont les spectacles qui parviennent à faire rire, émouvoir et montrer toute la palette de talents d’un-e artiste. Forma y parvient dans Formats, son premier seule-en-scène, qu’on a pu découvrir à Rolle et qui poursuit sa tournée en Suisse romande. 

Priscilla Formaz, alias Forma, joue Formats. Dans ce premier spectacle, elle raconte, dès la chanson d’ouverture, son besoin de reconnaissance et d’être aimée. Son projet de carrière se décide donc rapidement dès l’enfance : elle sera chanteuse ! Mais, entre les difficultés d’apprentissage de son premier instrument, des expériences compliquées avec différents groupes et son manager, ou encore un niveau d’anglais très bancal, elle va vite déchanter. Dans ce seule-en-scène, elle narre son parcours, de son Valais natal à celle qu’elle est devenue aujourd’hui, en passant par l’apprentissage du violon et du piano, son premier groupe de rock, le diplôme de jazz à l’HEMU, ou encore les concerts dans différentes manifestations, ou le public et les autres membres du groupe étaient plus alcoolisés que concentrés sur la musique… 

Face au désenchantement 

Forma dévoile tout son parcours, que l’on suit avec elle de manière chronologique et didactique : elle nous accompagne d’abord dans son enfance, n’hésitant pas à dévoiler des extraits audio de ses premières expériences de chant – à 3 ans – ou de ses débuts au violon. Rassurez-vous : elle a progressé depuis, du moins pour ce qui est de la voix. Forçant son accent valaisan pour nous plonger dans l’ambiance, elle raconte l’école avec ses cousins, appuyant certains clichés qui ne sont donc pas totalement infondés, sans jamais en faire trop. Surtout, elle évoque avec humour et tendresse ses parents, qui l’ont toujours soutenue dans tout ce qu’elle a fait, en lui répétant inlassablement « Vas-y ma fille, c’est comme ça qu’on apprend ! » Elle ne manque pas, au passage, de mettre quelques piques aux profs – dont font partie ses parents – et aux Genevois-es. Venant d’une Valaisanne qui joue à Rolle, on ne peut pas lui en vouloir ! 

Ses parents s’avèrent d’ailleurs être l’un des fils rouges de Formats : il faut dire qu’ils ont assisté à tous ses concerts, même quand elle chantait du rock dans des « boîtes à cul », et ce bien que sa mère répète inlassablement, en se bouchant les oreilles, « ça m’agreusse, ça m’agreusse ». À travers ses blagues, elle montre quel soutien ils ont été. Bien plus que les masculinistes toxiques qu’elle a croisés, comme son manager qui lui conseillait de copier ce qui se faisait déjà et de montrer ses formes plus que sa voix ; ou le membre de son groupe – le père d’un ami d’ailleurs – qui enchaînait les remarques sexistes auxquelles elle n’osait pas répondre. Des anecdotes qui montrent bien à quel point l’image est, paradoxalement, plus importante que la voix dans le milieu musical. Et Forma l’a appris à ses dépens, pour ne finalement jamais être vraiment heureuse dans cette voie qu’elle avait choisie. 

Mise à nu 

Sur scène, Forma use de différents costumes, qu’elle a elle-même confectionnés. On retrouve son manager, à travers une veste grise et froide, qu’elle laissera volontairement sur un mannequin pour tenter de s’en distancier ; une immense chapeau à volants, symbolisant sa prof de chant qui l’a traumatisée à l’HEMU, l’invitant à cacher sa véritable personnalité derrière des artifices ; une robe lui permettant de devenir une véritable projection de diapositives humaine, pour présenter sa famille et montrer à quel point elle est ancrée en elle ; ou encore un tablier rose sur lequel sont cousues des mains à hauteur des seins et des fesses… est-il besoin d’en préciser la signification ? À travers ses costumes comme avec ses mots, Forma transcrit le malaise dans lequel elle a évolué, avec beaucoup de finesse et d’intelligence. Si bien qu’on en rit énormément, alors qu’il y a une grande part de tragique là-dedans. 

Dans la construction de son spectacle, elle est enfin elle-même. Après avoir passé tant de temps à vouloir plaire aux autres, elle joue, chante, reprend des morceaux – on notera le magnifique medley des années 2000 qui nous rappelle notre adolescence (eh oui, on a eu la même !) – ou encore les parodies de chansons, comme le « I am beautiful » de Christina Aguilera, ou « Mon vieux » de Daniel Guichard, qui prennent une tout autre connotation… Tout cela conduit à un spectacle complet, dans lequel Forma parvient à mettre au service de l’humour tous ses talents. On apprécie également les petites blagues en chansons, façon slogan, qui ponctuent certains sketches, pour toujours garder un rythme et le public en haleine. Ce qui nous marque surtout, en guise de conclusion à son parcours, est la dernière scène, particulièrement touchante. Dans une véritable mise à nu, elle ôte tous ses artifices, y compris ses extensions capillaires, pour redevenir Priscilla, celle qui rêvait d’être aimée. La voix tremblante, sincèrement émue, elle avoue avoir enfin trouvé sa voix, qui l’a conduite à être devant nous sur scène. Après nous avoir fait rire avec son parcours cabossé, elle nous émeut aux larmes en étant elle-même. La voilà qui finit par atteindre son but, en apprenant d’abord à s’aimer elle-même. 

Fabien Imhof 

Infos pratiques : 

Formats, de Priscilla Formaz et Sébastien Corthésy, au Casino-Théâtre de Rolle, les 12 et 13 septembre 2025, et en tournée en Suisse romande. 

Avec Forma 

https://theatre-rolle.ch/programme/formats/ 

 Photos : ©Forma 

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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