Le banc : cinéma

Chronique d’une parentalité sous condition

Des preuves d’amour, un film dans lequel on se laisse aisément embarquer, offre à Alice Douard l’occasion de dénoncer le véritable parcours du combattant que représente la parentalité pour une famille homosexuelle. Elle en profite également pour interroger, au-delà des questions de genre, la complexité même de la notion de famille. 

Céline (Ella Rumpf) et Nadia (Monia Chokri) attendent un enfant. Déjà enceinte de six mois, Nadia porte le bébé conçu grâce à une PMA au Danemark, tandis que Céline doit entamer les démarches nécessaires pour adopter leur futur enfant. Le couple doit réunir les témoignages de quinze proches attestant du lien de Céline avec le bébé, de son implication pendant la grossesse, ainsi qu’un dossier comprenant photos et autres preuves d’amour. Pour obtenir ces attestations, Céline se tourne vers sa mère (Noémie Lvovsky), une pianiste renommée qui n’a jamais renoncé à ses passions pour élever sa fille. 

À travers le ressenti de Céline, interprétée avec une grande justesse et une remarquable intériorité par Ella Rumpf, nous suivons les entretiens avec l’avocate, qui lui expose l’ampleur des démarches pour qu’elle puisse adopter son propre enfant. L’enjeu est considérable, les procédures pouvant durer jusqu’à un an, une période durant laquelle Céline n’aura aucun droit parental, malgré le mariage du couple. Dans cette situation de n’être pas mère de manière indéniable, mais sans non plus occuper la place du père selon les codes hétéronormés, Céline doit créer son propre statut, face à une société qui lui demande de constamment se justifier. 

Cette quête de témoignages offre au couple l’occasion de se confronter à d’autres modèles familiaux, hétérosexuels ou non. Ils croisent notamment un couple d’amis débordé par ses deux filles, pour qui la reconnaissance parentale va pourtant de soi, sans qu’il ne leur soit jamais demandé de prouver quoi que ce soit. Du côté de la famille de Nadia, où la mère peine à accepter l’homosexualité de sa fille, le modèle nucléaire classique – un père, une mère, deux enfants – apparaît attachant mais chaotique, chacun-e y faisant face à ses propres contradictions. 

La collecte d’attestations permet surtout à Céline de se rapprocher de sa propre mère, avec laquelle les liens sont distendus, marqués par les absences répétées dues aux tournées. Noémie Lvovsky apparait tout en nuance : touchée par le rapprochement, mais lucide quant aux motivations de sa fille. Des preuves d’amour saisit avec précision la difficulté de « faire famille », et interroge ce qui fait ou non de nous de bons parents, particulièrement lorsque l’enfant n’est pas encore là. 

La musique joue un rôle central dans le film : la mère pianiste offre de superbes scènes à la Philharmonie de Paris, tandis que Céline, DJ et ingénieure du son, se trouve à sa place dans les salles obscures, malgré un rythme décalé. Le couple trouve dans les soirées dansantes un exutoire au stress provoqué par la pression constante, à laquelle s’ajoute celle, ordinaire, de l’attente d’un enfant. Le domaine du soin, représenté par Nadia qui est dentiste, et les rendez-vous de suivi de grossesse, est dépeint comme un espace à la fois bienveillant (la première scène du film est une touchante séance de préparation à l’accouchement), mais aussi comme trop peu informé des réalités des couples homosexuels. En témoigne cette scène où un jeune médecin pose des questions maladroites, obligeant Céline à lui rappeler qu’elle n’a aucun lien génétique avec l’enfant. 

Lorsqu’on sort de la majorité, il faut prouver sans relâche que l’on mérite ce qui, pour d’autres, va de soi : là où la médiocrité et le doute sont acceptés pour la norme, l’excellence devient un impératif pour celles et ceux qui en sont exclu-es. Des preuves d’amour nous rappelle ce combat ordinaire, alors que sortir de la norme pourrait être une occasion d’inventer ou de réinventer les modèles établis, pour espérer aller vers des familles plus fonctionnelles.  

Léa Crissaud 

Référence : 

Des preuves d’amour, réalisé par Alice Douart, France, sortie en salles le 19 novembre 2025. 

Avec Ella Rumpf, Monia Chokri, Noémie Lvovsky 

Photos : ©Tandem Films 

 

Léa Crissaud

Passionnée par la culture sous toutes ses formes, Léa s’est engagée au sein du comité de La Pépinière il y a un an. Elle y coordonne aujourd’hui le Pôle Cinéma, avec la volonté de partager sa passion et de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Elle écrit entre son travail de barista, ses études en médiation culturelle, et la coordination des cours à la Fête de la danse de Genève.

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