Conte de la techno-crypte
Cronenberg nous revient avec le genre qui a fait sa notoriété avec The Shrouds. Karsh est un entrepreneur qui fait succès en inventant un cimetière où les défunts sont inhumés dans un linceul constitué de capteurs permettant à leurs familles de continuer à les voir en direct. Un jour, en examinant les images de sa défunte femme, il remarque une anomalie. Peu de temps après, le techno-cimetière est profané par une organisation inconnue.
Quiconque a grandi dans les années précédant l’explosion des services de streaming se souvient ce qu’était la visite presque rituelle du vidéo club de son quartier. Certains y allaient avec une idée précise du film à louer, d’autres se laissaient plus volontiers tenter par l’aventure d’un film pris au hasard, basé souvent sur la simple couverture du DVD (ou de la VHS pour les plus anciens). Parmi ceux-là, qui n’est pas tombé sur l’une de ces séries B qui, certes sans être des chefs-d’œuvres, faisaient tout de même notre soirée. Il est un genre parmi ces perles qui est encore sujet à un culte aujourd’hui : celui du body horror. David Cronenberg peut être à ce titre considéré comme l’un des maîtres du genre. Ses films Scanners, La Mouche ou encore Le Festin Nu peuvent être considéré comme des classiques du genre au point où il serait peut-être même exagéré de parler encore de série B. S’il a quelque peu délaissé ce genre durant ces vingt dernières années, il semble y être revenu avec Les Crimes du futur sorti en 2022 et cette fois Les Linceuls.
Karsh (Vincent Cassel) est un homme d’affaire fortuné. Il a réussi d’abord comme vidéaste pour les corporations mais surtout comme inventeur par le biais de sa compagnie, Grave-Tech, d’un genre nouveau de cimetière. Il propose aux familles d’envelopper leurs défunts dans un linceul qui leur permet de voir leur cadavre dans leur tombe et suivre leur décomposition. Karsh possède lui-même une de ces tombes pour sa femme, Becca (Diane Kruger), décédée d’un cancer cinq ans plus tôt et dont il n’arrive pas à surmonter le deuil. En observant un jour les vidéos de la dépouille en décomposition, il remarque que des nodules qui semblent nouveaux et non-naturels parcourent le squelette de sa femme. Il décide alors d’en discuter avec la sœur jumelle de Becca, Terry (Diane Kruger). Celle-ci soupçonne alors la clinique qui la soignait d’avoir expérimenté des traitement inconnus et inhumain sur sa sœur. Simultanément, le cimetière de Karsh est victime de profanations par une organisation inconnue. Maury (Guy Pearce), ex-collaborateur de Karsh et également ex-mari de Terry, lui apprend que les linceuls ont été piratés et que Karsh et ses clients ont perdu tout accès aux tombes. Karsh, qui voit alors compromises ses négociations d’étendre Grave-Tech avec un oligarque bulgare, enquête sur les deux affaires et sombre peu à peu dans la paranoïa.
On retrouve alors dans ce film tous les éléments qui contribuent à un body horror, ou plutôt presque tous. Cronenberg est un réalisateur chevronné qui sait parfaitement mettre le physique de ses personnages en avant. Et qu’ils soient en décomposition, vivant ou mutilés, les corps sont bien le sujet principal de ce film. On sent bien qu’il prend un plaisir malin à nous faire sentir mal à l’aise en nous montrant Becca dans son corps mutilé dans les rêves de Karsh ou encore en insistant longuement sur la décomposition de son cadavre. La nudité occupe alors également une part importante ici, aussi bien chez les vivants que les défunts. Non pas seulement comme sujet de fantasme mais aussi afin d’insister sur ces cicatrices qui semblent représenter les fissures des personnages. Cronenberg alors nous les montres tels qu’ils sont, sujet à leur paranoïa, jalousie ou leur lubricité, à l’instar des linceuls de Karsh.
Aller au-delà des illusions, ou plutôt des faux semblants parait alors être le sujet principal du film. Chacun prétend être quelqu’un qu’il n’est pas mais paradoxalement tous semblent se « voiler » la face. Cette superposition entre vérité et mensonge contribue à créer une ambiance presque schizophrénique. L’exemple le plus parlant est évidemment Karsh. Celui-ci se convainc que le cimetière est sa manière d’honorer la mémoire de Becca mais apparaît en réalité plus préoccupé par les profits de Grave-Tech au fur et à mesure que la narration se développe. Le film nous montre alors cette dégradation morale d’où il est très difficile de ne pas tracer un parallèle avec la décomposition cadavérique que propose Karsh à ses clients. Le film devient alors lui-même un linceul.
Au niveau des acteurs, Vincent Cassel paraît plus intéressant par son physique que par son jeu d’acteur. Plus celui-ci prend de l’âge, plus il semble fait pour les films d’horreur que pour les rôles de séducteur. Son visage émacié et inquiétant pourrait rappeler celui d’autres célébrités de ce registre tels que Christopher Lee ou encore Peter Cushing. Espérons qu’il continue à participer à d’autres projets dans la même veine. Diane Kruger sonne juste dans le rôle des deux jumelles, qu’il s’agisse des visions cauchemardesques de Becca ou de sa sœur, on peut le dire complétement paumée, Terry. Mais probablement le plus détestable (dans le bon sens du terme) de tous reste Guy Pearce dans le rôle de Maury. Pearce est juste parfait dans les rôles de manipulateurs fourbes comme on a déjà pu le voir récemment dans The Brutalist.
En définitive, si Les Linceuls n’est pas le fim de l’année, il comporte néanmoins de bons moments et idées qui le rendent agréable à regarder. Il s’agit avant tout de savoir ce que l’on va regarder. Le film ne prétend en effet pas être autre chose que ce qu’il est : un body horror avec son lot de scène quelque peu gore, frisant le grotesque, et de dialogues un peu niais. Il reste néanmoins distrayant dans l’ensemble. À voir pour les nostalgiques de l’époque des vidéoclubs.
Alexandre Tonetti
Références :
Les Linceuls, réalisé par David Cronenberg, Canada, en salles le 25 avril 2025
Avec Vincent Cassel, Diane Kruger et Guy Pearce
Photos : © 2025 Pyramide Distribution
